Tennis. ITW - Jules Marie : "Je ferais une erreur en reprenant l'ATP en 2021"
Par Augustin PITRÉ le 30/04/2020 à 07:48
Jules Marie est de ces joueurs à la carrière atypique qui forgent leur expérience sur les lauriers du succès et les leçons tirées des épreuves. La crise sanitaire que nous vivons en est une et elle contraint le Caennais de 28 ans à changer de cap et à revoir ses ambitions. Jules Marie aborde pour Tennis Actu les questions que pose le confinement chez les joueurs de tennis professionnels et revient sur sa carrière entre ambition et nécessaire rentabilité.
Vidéo - ATP - Jules Marie : "Le tennis, c'était mon gagne-pain !"
Jules Marie... comment se passe ton confinement ? Arrives-tu à t’entraîner ?
Je suis les cours d’un coach de sport en live sur Facebook. Ça me fait un planning avec deux séances par jour. Sinon je ne touche pas beaucoup la raquette, j’essaye de faire un peu de mur chez moi mais les voisins se plaignent à cause du bruit de la balle sur les murs ! Le tennis me manque un peu bien sûr parce que c’est ma passion. C’est aussi mon gagne-pain donc c’est assez compliqué de perdre cette source de revenus.
Justement, tu as participé à une réunion organisée par l’UNJPT (Union Nationale des Joueurs de Tennis Professionnels) avec un expert-comptable et certains joueurs classés français, peux-tu nous en dire plus sur les aides que vous pourriez recevoir ?
Il y a d’abord l’aide financière du gouvernement pour les indépendants et professions libérales, tous les joueurs en ont fait la demande. On peut aussi recevoir une aide de l’URSSAF si on a une perte de revenus d’au moins 50% entre mars 2019 et mars 2020. Je devais faire des tournois et donner des cours sur cette période donc même avec ces aides je perdrai au change, mais après d’un autre côté c’est sûr qu’on dépense aussi beaucoup moins en restant chez soi.
La FFT (Fédération Française de Tennis) a annoncé des plans de soutien et de relance à hauteur de 35 millions d’euros. Comment va être répartie cette aide et qui doit en bénéficier prioritairement selon toi ?
Je ne sais pas encore, ils n’ont pas encore précisément détaillé le dispositif (il sera communiqué à l’issue du comité exécutif du 15 mai). L’aide concerne les officiels internationaux, les organisateurs de tournois internationaux français, les entraîneurs professionnels indépendants, les clubs affiliés et les joueurs et joueuses du circuit professionnel. Si l’aide est de 500 à 1500 euros par exemple, je ne pense pas que ça change grand-chose dans la vie du top 6 ou 7 français. Les joueurs le plus en difficulté sont ceux classés au-delà du Top 15 français, mais c’est à voir au cas par cas et c’est sûr que c’est assez compliqué.
Quelles sont les fins de saison probables pour cette année ?
À mon avis, tant qu’il y aura des cas dans le monde, ce sera impossible de reprendre sur le circuit ATP ou ITF. Par exemple s’il y a des cas au Brésil, les Brésiliens seront confinés et les autres pourront jouer ? Non, je pense que ce n’est pas possible. Sur le circuit français, j’ai envie de croire qu’on pourra rejouer si le gouvernement bloque les frontières et qu’on respecte les gestes barrières. Aussi le niveau risque d’être plus relevé car des joueurs plus habitués au circuit ATP vont venir faire ces tournois pour gagner de l’argent.
As-tu des appréhensions concernant ton niveau de jeu à la reprise ?
Non pas vraiment, je sais qu’il me faudra une à deux semaines pour reprendre le rythme et qu’au début je vais être nul, voire très nul (rires), je n’ai aucun doute là-dessus. Courir sur le court, évaluer les distances et les trajectoires, même si ça fait 25 ans qu’on fait ça, il va falloir un petit moment pour se réadapter. Il y aura aussi forcément une perte de précision car on ne travaille plus son œil. On va être un peu à l’Ouest.
Tu as un parcours assez atypique dans le tennis. Peux-tu nous raconter tes débuts en juniors puis à l’ATP ?
J’étais en sport-étude à la ligue de Normandie, à cette période j’étais dans les 10 ou 15 meilleurs français. J‘ai progressé tous les ans et je suis sorti après mon bac S en étant -15. Je suis revenu à Caen faire une licence STAPS. La première année, j’ai continué à m’entraîner et je suis resté sur le circuit français pour monter -30 et prendre le temps avant de commencer à jouer des tournois Futures. Je voulais prendre le temps pour aller les disputer dans l’optique d’en gagner tout de suite et pas perdre de l’argent en s’inclinant dès les premiers tours.
Comment s’est passée ta transition vers le circuit professionnel ?
Alors une fois que j’ai été -30, à 20 ans, j’ai commencé à jouer sur le circuit ATP. Je n’étais pas si jeune finalement, d’autres ont commencé bien avant moi. J’ai mis au moins un an à m’adapter, au début je passais les premiers tours de Futures puis au bout d’un an j’ai pris confiance en moi et j’ai commencé à en gagner. Je suis monté 228e en 2015, j’ai commencé à rencontrer des Top 100 en Challenger, je me disais que je n’étais pas loin. Puis j’ai commencé à perdre 5 ou 6 matches et je me suis dit que je n’y arriverais pas, que ça allait prendre trois ou quatre ans pour peut-être finalement ne même pas réussir. J’ai pris peur à ce moment-là et j’ai décidé d’arrêter. J’en avais marre de demander de l’argent à mes parents, les minces revenus que j’avais étaient réinjectés dans les autres tournois. À 25 ans, je voulais aussi faire ma vie et me poser un peu parce que les voyages toutes les semaines me pesaient. C’était une vie totalement différente de celle de mes potes qui vivaient à Caen ou à Paris.
Le « petit plus » qu’il te manquait il était plutôt mental ou technique ?
C’était évidemment mental ! Je pensais que j’étais moins fort mais ce n’était pas vrai, il fallait juste être plus patient. Il m’aurait fallu quelques mois pour me rendre compte que j’étais comme tout le monde. Depuis, j’ai battu des mecs qui jouent les ATP 500 et 1000 voire en Grand Chelem. Quand on n’est pas des génies comme certains, il faut du temps pour se rendre compte de certaines choses.
Finalement, tu t’es relancé sur les tournois Futures récemment avec d’excellents résultats en fin 2019 et en 2020, est-ce que ça te motive pour retourner sur le circuit ATP ?
Oui c’est vrai qu’après l’Open de Caen et le Future de Bagnoles-de-l’Orne (qu’il remporte sans perdre un set) où j’ai eu une wild card, j’ai eu ce déclic et j’ai décidé de retourner sur le circuit ATP. Mon classement ne me permettait pas de rentrer dans les qualifications de Futures donc c’était compliqué mais j’ai eu la chance d’avoir une wild card au Challenger de Cherbourg où j’ai battu un Top 300 et deux Top 250. Je jouais bien et j’avais prévu de continuer les Futures, j’étais inscrit en Angleterre et en France mais le confinement a été annoncé.
Est-ce que cette longue pause forcée t’a contraint à changer tes plans et revoir tes ambitions ?
Les tournois ne reprendront sûrement pas en 2020 et à ce jour je ne pense pas reprendre en 2021 sur le circuit ATP. Il me reste cinq ou six ans à jouer, il faut que je voie mes priorités : jouer sur le circuit français et gagner ma vie ou faire deux ou trois ans de circuit ATP pour essayer de jouer les qualifications de Chelem. La question se pose mais pour moi, reprendre l’ATP en 2021 serait une erreur. Il faudrait avoir de l’argent de côté et aujourd’hui je n’ai pas de revenus donc je me vois mal dépenser de l’argent pour aller à l’étranger jouer des Futures.
Peux-tu nous donner tes impressions sur tes performances à l’Open de Caen en décembre 2019 où tu fais une finale en battant trois Top 100 (Grégoire Barrère, Pablo Andujar et Benoît Paire) avant de t’incliner en finale contre Jo-Wilfried Tsonga ?
C’est le plus gros tournoi en France hors ATP et il est chez moi à Caen donc je l’ai fait à plusieurs reprises et j’ai vu beaucoup de joueurs passer comme Gasquet, Medvedev, Simon, Paire ou Bautista-Agut. Perdre en finale contre Tsonga devant ma famille et mes potes, après avoir battu trois Top 100, c’était comme un rêve pour moi. C’est un des plus beaux souvenirs de ma petite carrière. J’avais déjà battu Paire et Andujar donc je savais que j’avais une chance mais contre Barrère au premier tour je pensais vraiment prendre une taule. J’avais pris qu’une tenue pour le tournoi parce que je pensais vraiment prendre 6-2 6-2. Contre Tsonga en finale ce n’est pas passé loin, j’ai été déçu mais ça reste un grand souvenir.
Au cours de ta carrière, tu as pu voir différents aspects du tennis professionnel, qu’est-ce que tu changerais à ce système actuel ?
Depuis quelques années ils augmentent les prize-money mais clairement ce n’est pas assez pour faire vivre les joueurs du top 400 ou 300. La différence est trop grande entre les tous meilleurs joueurs et les autres. Lorsque j’étais 228e mondial, je perdais de l’argent tous les ans, j’étais déficitaire et ce n’était pas évident à gérer. Après à nous aussi d’être meilleurs pour gagner des tournois, mais on n’est pas tous des génies qui rentrent dans les tableaux de grand chelem à 19 ans, certains prennent plus de temps pour atteindre leur meilleur niveau.
Tu as passé ton DE (Diplôme d’Etat) l’an passé, as-tu une idée claire de ce que tu feras après ta carrière professionnelle ?
Oui j’ai eu mon DE via la formation pour les joueurs de haut niveau (il faut avoir été dans le top 500 mondial à l’ATP au minimum). Elle est sous forme accélérée et j'enchaînais théorie au CNE (Centre National d’Entraînement) et pratique en club pendant sept mois. C’est en effet une possibilité de reconversion après ma carrière de joueur professionnel.
Pour finir, qu’est-ce qu’on peut te souhaiter pour la fin de saison ?
Franchement, refaire des tournois parce qu’on on a tous envie de rejouer. En période de confinement, on se rend mieux compte de la chance qu’on a de jouer au tennis et de pouvoir vivre de sa passion.
Propos recueillis par Eloi Le Tenier et Augustin Pitré