Tennis. Roland-Garros - La fiction de Fabrice David : "Le goût du 100... "
Par Fabrice DAVID le 09/06/2020 à 07:01
Fabrice David, vous connaissez. Avec son expérience journalistique, 23 ans au service des sports de TF1, avec sa polyvalence (reportages pour les Journaux Télévisés de 13h et 20h, les émissions Téléfoot et Auto-Moto, les magazines autour des Coupes du monde de football ou rugby, LCI), avec son savoir faire (storytelling, mise en récit, création de contenu vidéo et écrit) mais aussi avec son style (écrivain de polars et d'un livre d'humour), voilà la chronique Fabrice David... sa fiction sur Tennis Actu.
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Dimanche 7 juin 2020. Très tôt, ce matin, le soleil est déjà haut sur l’île de Majorque, Espagne. Rafael Nadal vient de se réveiller, dans sa propriété magnifique, ici, sur sa terre natale. Il fait déjà chaud. Pas besoin de jeter un coup d’œil au réveil. Il connaît parfaitement la date du jour. Il sait très bien l’immense et beau défi qu’il serait en train de préparer, pile à cette heure-là, si la vie s’était écoulée normalement. Si aucun covid-19 n’avait bouleversé la planète. Nadal est impatient. Immédiatement, il ressent cette rage de vaincre. Cette adrénaline qui lui manque tant depuis le début du confinement. Musculature saillante, regard de vainqueur. Un lion en cage.
« Tu dois encore patienter, Rafa », lui dit une petite voix. Alors il patientera, avec ce goût amer dans la bouche. Car ce devait être aujourd’hui… La finale de Roland-Garros 2020 ! Une de plus. Mais tellement différente des autres !
Le Majorquin ne s’entraine pas ce matin. En marchant pieds nus dans son jardin, il prend le temps de rêver. Il se souvient de tous ces triomphes le deuxième dimanche de juin sur la terre de « son » Roland. Un rituel immuable qui aurait dû se reproduire, aujourd’hui, en finale de l’édition 2020. Il s’imagine entrer sur le court, frotter machinalement ses chaussures sur cette terre battue si familière. Assis sur son banc, il place les bouteilles d’eau par terre devant lui, au millimètre. Les conditions sont idéales. Chaud. Comme dans une arène. Il est le matador. La foule est en transe, la pression maximale. La tension monte. Tout ce qu’il aime. La machine de guerre implacable est prête. Peut-être plus que jamais. Car cette finale n’est pas qu’une simple finale comme il en a disputé tant. Elle est une quête immense et symbolique, le genre de clin d’œil que le destin ne fait qu’aux plus grands.
Si la vie s’était écoulée normalement...
Pour Rafa le magnifique, gagner la finale de Roland Garros 2020 signifierait une centième victoire sur la terre battue parisienne ! Si la vie s’était écoulée normalement, ce dimanche 7 juin, le monde du tennis et du sport en général attendrait fébrilement ce record incroyable. Excité par le goût du 100, par l’envie de voir s’écrire une nouvelle page dans le grand livre des exploits du sport.
Evidemment, si la vie s’était écoulée normalement, Nadal se serait qualifié pour cette finale sans perdre un seul set. Lors des premiers matchs, il aurait balayé ses adversaires par des scores qu’il a déjà infligé tant de fois, pas plus tard que l’an dernier en quart de finale contre Nishikori : 6-1, 6-1, 6-3. Quelques miettes laissées en chemin, un huitième puis un quart sans trembler, une demi-finale contre Thiem en perdant un seul set, au tie-break.
« J’y étais »
Jour J, jour de centième. Le nouveau toit du Philippe-Chatrier n’est pas fermé. Et même s’il l’avait été, aucun toit n’est trop haut pour Rafaël Nadal. Il est sur celui du monde, sur une planète que seul lui a découvert. Le public est chaud, prêt à vibrer comme jamais. C’est la centième ! Chacun de ces hommes, de ces femmes, de ces enfants, en tribunes pourra dire « J’y étais ».
Nadal, majestueux, frappe comme rarement. Le court est vivant. Il tremble, secoué par des mini-séismes. Ce sont les vibrations presque électriques provoquées des bruissements de plaisir à chaque brutalité de Nadal. Les balles souffrent, pleureraient de douleur si elles étaient vivantes. Les spectateurs sont fous. D’admiration, de bonheur de voir ce géant à quelques mètres. Ils savent, tous, sur place ou devant leur télévision, qu’ils sont plusieurs centaines de millions, peut-être même un milliard, à vivre ensemble ces sensations.
Car le monde entier est devant Nadal. Le monde entier a le goût du 100 et attend fébrilement l’exploit banalisé. Des exclamations jaillissent des fenêtres des maisons de Manacor, île de Majorque. Mais aussi des favelas de Rio, des immeubles de Sydney, de l’Islande à l’Afrique du Sud, du court Central de la Porte d’Auteuil au Chili, en passant par les îles Fidji ou l’Iran et traversant toute la planète. Le monde entier attend l’inéluctable, mais ce moment sera historique, une nouvelle ligne dans la biographie hallucinante de Nadal.
Revers surpuissants. Coups droits aux lifts infernaux. Chaque fois, ils impressionnent, chaque fois, ils semblent surhumains. Et chaque fois, Nadal recogne, relifte, redétruit. Et chaque fois, le public se lève, crie. Dans chaque balle, l’Espagnol joue sa vie. Pourtant, sa vie, il l’a mille fois réussie. Plus rien à prouver. Il a tellement connu la victoire qu’il pourrait, négligemment, renvoyer la balle et il gagnerait encore. Mais non, il cogne. Chaque point est une conquête. Mais il ressent ceux de l’adversaire comme une humiliation. Peu d’humains ont un tel mental. Voila pourquoi le monde entier le regarde, fasciné, conquérir la centième. La fin est connue. Il va gagner. Mais le chemin pour y arriver, même tracé, est excitant à emprunter en sa compagnie. Voir le monstre marcher sur l’eau, marcher sur l’autre.
« Vamos ! »
Ce cri d’encouragement, le poing de bas en haut comme un uppercut, est devenu la marque de fabrique de Nadal. Repris par les spectateurs euphoriques. Qui ont, parfois, un soupir de soulagement quand il commet une faute. Que cela n’aille pas trop vite. Dans les allées de Roland-Garros, du monde, partout. Vivre l’événement, au plus près, même si tous ces amateurs de tennis n’ont pas de place sur le Central. Beaucoup regardent sur l’écran géant. D’autres déambulent, rythmés par le bruit des balles démontées par les coups du Majorquin, les annonces du speaker, les applaudissements.
Balle de match. Cela devait arriver, mais le spectacle a encore été epoustouflant. Un coup droit surpuissant, une balle qui jaillit avec une telle puissance qu’elle briserait l’avant-bras d’un humain normal qui tenterait de relancer.
« Jeu, set et match, Nadal. »
Les arbitres de Roland-Garros ont plus souvent prononcé cette phrase qu’ils n’ont passé de coups de fil à leur propre épouse. 100e victoire de Rafael Nadal à Roland Garros. Il tombe sur le court, bras en croix. Il a tant donné mais sûrement pas tout donné, tant l’homme aux cent victoires, désormais, à Roland est surhumain. Il lève la Coupe des Mousquetaires, remise au vainqueur du tournoi, en se demandant dans quelle armoire à trophées l’exposer, puisqu’il n’y a plus de place.
Dimanche 7 juin 2020, 10h du matin. Rafaël Nadal chasse ces pensées. Lui ne rêve pas, il agit, il gagne. Alors il attendra Roland-Garros 2020, comme tout le monde. Et pour patienter, il s’entrainera, ce matin, même si ce n’était pas prévu. Comme s’il jouait une finale. A fond, comme toujours.
Le soleil cogne haut sur l’ile de Majorque. Ce dimanche 7 juin, il compte toujours 93 victoires sur la terre battue parisienne. Et il en faut sept pour gagner un Grand Chelem. 93 + 7…. Cet objectif 100 est repoussé de quelques mois. Normalement. Car Nadal a face à lui un adversaire qu’il ne maitrise pas, pour une fois. Ce pu… de virus. S’il ne revient pas à l’automne, Roland-Garros se jouera en septembre.
Rafa est à l’entrainement. Pas question de perdre un seul point. Il cogne. Il n’est pas trop tôt pour préparer la prochaine consécration. La centième à Roland-Garros. Qui osera ou réussira à empêcher Rafael Nadal d’y parvenir ? Comment lutter contre le goût du 100 d’un grand fauve ? La finale de Roland-Garros 2020 est, pour l’instant, prévue le 4 octobre.