Tennis. Mag - Sport, Tennis, Mixité dans les quartiers sensibles
Par Clémence LACOUR le 15/01/2017 à 17:21
Vidéo - Jean-François Lamour et les sports dans les banlieues
Le tennis, sport dit "bourgeois" a-t-il sa place en banlieue ? La question est ouvertement polémique, et rejoint une autre problématique, celle du sport dans les quartiers sensibles. A l'heure où les sociétés occidentales se morcèlent, à l'heure où les banlieues françaises se radicalisent, et où les opinions publiques se replient sur elles-mêmes, les politiques publiques se penchent sur le rôle du sport dans notre société, le sport peut-il être à même de recréer un lien social distendu ? Serait-il possible de vibrer à l'unisson devant un grand spectacle sportif, comme la coupe du monde de football, et de se retrouver, ensemble, quelle que soit l'origine sociale, sur le terrain de sport, respectant les mêmes règles ? Les doutes, depuis une décennie, semblent s'être installés. Comment développer le sport dans les quartiers, garçns et filles sont-ils à égalité et quelle est la place du tennis, que des figures comme Yannick Noah s'attachent à promouvoir ? Voici trois questions auxquelles Tennis Actu se propose de réfléchir.
Les banlieues, larges bénéficiaires du CNDS
Il est loin, en effet, le temps de la Coupe du Monde 1998 et de cette génération Black, Blanc Beur alors saluée par tous et élevée au rang de mythe, comme le rappelaient dans l'Oeil du Tigre Pascal Blanchard et Eric Annezzo. Depuis, les idoles du football ont été déchues, ravalées au rang de petits mal élevés de banlieue. Pourtant, le sport pourrait-il aider à traiter les difficultés des jeunes les plus défavorisés de la société : l'obésité grimpante, le manque de repères, la ghettoisation et l'absence de repères ? Le Centre National pour le Développement du Sport y croit dur comme fer et multiplie les investissements, sans cependant que tous les sexes soient à égalité... ni, d'ailleurs, tous les sports. Entre 2011 et 2015, il a ainsi fait des banlieues les principales bénéficiaires de son action, apprend-on sur le site Localtis. La part des crédits de construction ou réhabilitation d'équipements sportifs attribués au Zones Urbaines Sensibles a grimpé à 46% en 2015 contre 25% en 2011. Cela concerne en particulier des équipements vétustes. La Seine-Saint-Denis bénéficie à ce titre, par exemple, d'un plan exceptionnel d'investissement (PEI) qui prévoit notamment la construction de treize équipements sportifs à utilisation partagée entre communes et établissements scolaires. Il s'agit en fait de créer et de réhabiliter des installations vétustes, qui peuvent être des piscines de toutes tailles, des plateaux sportifs couverts en Outre-mer, des autres types d’équipements sportifs spécialisés destinés à la pratique en club, du matériel lourd spécifique destiné à la pratique sportive fédérale ou encore des salles multisports. Localtis relève que "en valeur absolue, les crédits du CNDS pour la construction ou la réhabilitation d'équipements sportifs en ZUS sont passés de 16,1 millions d'euros en 2011 à 18,1 millions d'euros en 2015 (+3%), alors que, sur la même période, les subventions d'équipements du CNDS passaient de 65 millions d'euros à 39 millions d'euros (-12%)." Le but est de remettre l'intégration en marche par le sport.
Les filles, les grandes oubliées du système
Mais ces équipements sont-ils utilisés par tous ? Autrement dit, les femmes sont-elles autant bénéficiaires des investissements du CNDS que les hommes? La réponse est clairement non. En 2012, le site Le Temps des banlieues dressait l'état des lieux de la question. Ainsi les auteurs de l'article remarquaient-ils que les politiques de pacification des banlieues par le sport, en mettant en avant la masculinité de la pratique sportive ont délaissé, marginalisé et pénalisé les filles. A l'appui du constat, on trouvait l'expertise de Gilles Vieille-Marchiset, maître de conférence à l’Université de Franche-Comté, qui soulignait dans cet article: "La logique de pacification urbaine était explicite. Le sport avait bon dos pour occuper les jeunes garçons", et une dénonciation générale par l'Agence pour l'éducation pour le sport de la "sous-représentation féminine dans les pratiques sportives et dans l’encadrement dans les banlieues populaires, et spécialement les zones urbaines sensibles (ZUS). Cécile Ottogalli-Mazzacavallo, historienne à l’université Lyon 1 remarquait que les jeunes filles des quartiers populaires "doivent développer des stratégies de contournation" comme, avant elles, celles du XIXe. En effet, elles doivent tenter de "ne pas heurter les références traditionnelles, familiales ou culturelles". En 2014, même constat dans une étude confiée au CREDOC par le Ministère du sport : les filles ont du mal à pratiquer une activité sportive car cela n'est pas valorisé et le cadre familial sur la pratique des jeunes filles pèse trop. Autrement dit, ce n'est pas tout de suite que des jeunes filles des quartiers se sentiront autorisées à porter, comme Eugénie Bouchard, de courtes robes sur un court de tennis.
Et le tennis dans tout ça ?
Et le tennis dans tout ça ? Il est très clair que ce n'est pas le sport le plus accessible de France puisqu'il représente 7% de l'offre. Pourtant, la moyenne de la cotisation dans les clubs est de 70euros, c'est à dire une somme assez abordable. Une synthèse publiée en 2014 par le Ministère de la Jeunesse et des sports faisant le point sur les équipements sportifs en banlieue indiquait ainsi : "Les plateaux EPS, les salles multisports et les terrains extérieurs de petits jeux collectifs sont plus souvent présents en Zus, représentant respectivement 18%, 13% et 12% de l’offre. Les salles de sports de combat sont également sur-représentées, mais ne constituent que 5% des équipements sportifs en Zus. A l’inverse, les courts de tennis et les terrains de grands jeux représentent respectivement 7% et 11% de leurs équipements contre 14% et 13% dans les autres quartiers de leur commune." Quand on habite dans une ZUS, on pratique donc d'abord une activité collective : le basket-ball, handball, football, volley-ball. La petite balle jaune apparaît tout de même comme l'un des 10 sports individuels les plus praticables. Parfois, comme à Nîmes, des terrains de tennis sont disponibles sans avoir à adhérer à un club, sans cotisation à verser. Dans ce rapport en 2014, plusieurs freins peuvent apparaître et expliquer la reticence des jeunes des quartiers, outre, bien sûr, le coût de l'activité. Le tennis peut être perçu parfois comme un sport bourgeois, et il était noté qu'un accès effectif aux aides financières était à parfaire, et que l'information sur l’offre de pratique sportive était insuffisante. D'autre part, les courts de tennis étant rarement situés en banlieue, il s'agirait également d'améliorer l'offre de transports publics. Enfin, bien sûr, les adhérents des clubs de tennis, souvent issus de "CSP +" peuvent percevoir ce public comme "problématique". L'association "Fête le Mur", parrainée par Yannick Noah, tente de rendre le tennis plus accessible aux jeunes des banlieues et met en avant "un sport qui véhicule des valeurs de fair-play, de respect envers l’arbitre et l’adversaire, qui prône la bonne tenue, "et qui a le grand avantage de "mettre les filles et les garçons sur le même terrain." . Malgré le constat que "le tennis fut longtemps, dans l’esprit des gens, réservé aux catégories sociales les plus privilégiées : l’idée de Fête le Mur était de le démocratiser avec un concept très simple : Utiliser des terrains de proximité municipaux au cœur de la Zone Urbaine Sensible, les réhabiliter en partenariat avec les municipalités concernées et permettre aux enfants et jeunes du quartier de s’initier au tennis 2 fois par semaine avec une équipe de professionnels". Voilà peut-être aussi une piste de travail pour la FFT afin de remédier à la baisse endémique du nombre de licenciés.