Gilles Moretton : "Travaillons ensemble pour le bien du tennis..."
INTERVIEWGilles Moretton sera-t-il réélu président de la Fédération Française de Tennis ? La réponse sera donnée le 14 décembre 2024, lors de l'assemblée générale élective. Elu en 2021, l'ancien 65e joueur mondial a traversé des périodes de turbulences mais reste favori face à son rival Germain Roesch, président de la Ligue Ile-de-France. Secoué par une affaire de détournement de biens et de corruption, classée sans suite, Gilles Moretton a également dû répondre au mauvais climat social. Un régime autoritaire avec de nombreux départs avait été dénoncé. Pour Tennis Actu, le président Moretton est revenu sur les différentes accusations et critiques à son encontre. Il a également dressé le bilan de son premier mandat et présenté son projet pour le futur. "Le travail a porté ses fruits. La plus grande satisfaction est dans l’humain. (...) On est reparti parce qu’on considère que le travail effectué n’est pas terminé". ENTRETIEN.
L'ENTRETIEN Gilles Moretton sur Tennis Actu
"Soyons unis ! La Fédération n’appartient à personne, pas à Gilles Moretton, ni personne d’autre"
Gilles Moretton, vous présentiez votre programme à Tennis Actu il y a quatre ans. Cette fois, c’est reparti pour une nouvelle campagne en 2024.
On est à la fin d’un mandat. On est reparti parce qu’on considère que le travail effectué n’est pas terminé. Le travail a porté ses fruits. L’idée, c’est de continuer, de prolonger le travail effectué sur des tas de domaines, auprès des clubs, des écoles de tennis, du développement des différentes pratiques de la fédération. On estime qu’on n’a pas fini, qu’il reste du travail à faire et qu’il est important pour notre fédération qu’il y ait une certaine stabilité dans les projets. C’est pour cela qu’une équipe veut continuer.
Quel bilan tirez-vous de ce premier mandat ?
C’est avant tout de la fierté. La fierté d’avoir un collectif autour de moi. On était une cinquantaine il y a quatre ans avec des idées. Nous sommes venus car nous avions envie d’aider le tennis. On a appliqué cela. On est arrivé dans une situation hyper délicate en 2021. On perd 92 millions d’euros, on a 930 000 licenciés, on perd des licenciés depuis 15 ans… La situation n’est pas jolie. Il y a aussi le Covid. On regarde le bilan au bout de quatre ans : 1 170 000 licenciés, des finances qui sont restaurées avec un résultat net de 30 millions d’euros. On est fier de ça. On est aussi fier de nos clubs, des pratiques mises en avant, notamment le padel. Le bilan est satisfaisant. La plus grande satisfaction est dans l’humain. On a été élu il y a quatre ans avec 62% des voix. Et là, on est 80% en réunissant les élus qui ont rejoint « Unis pour notre Fédération ». Il y a souvent un seul candidat dans les territoires ou comités. Il n’y aura pas une surprise. Il y aura des matchs à droite à gauche mais… C’est la réalité. Ces gens-là m’ont vu fonctionner, aller sur le terrain, proposer, partager… Ces gens sont les vrais sachants tennis qui aident leur ligue, leur comité, ou leur club. Pour moi, c’est une satisfaction d’avoir pu convaincre des gens qui étaient dans l’opposition il y a quatre ans et qui sont alignés derrière le groupe « Unis pour la fédération ».
Quel est le cap pour la suite ?
Consolider ce qui est fait depuis quatre ans, continuer à fédérer, et poursuivre notre développement. Il y a quatre gros piliers. D’abord, les clubs et les licenciés. On a fait beaucoup et on a innové : les 3€ par licence, l’aide aux clubs, le tour de France qu’on a créé pour rencontrer tout le monde… Tout ce qui touche à la modernisation des clubs aussi… C’est le premier pilier et le plus important. Les clubs et licenciés sont 99% de la préoccupation d’un président. Le haut-niveau, c’est à peine 1%.
Le deuxième pilier, ce sont les pratiques. On était « mono tennis » quand je suis arrivé. Le tennis reste le pilier mais on a de nouvelles pratiques. On a sorti le padel des tiroirs, on a développé le beach-tennis, le pickleball arrive, le paratennis est une pratique importante pour la fédération. Il y a également la courte paume.
Le troisième pilier, c’est le haut-niveau. Un travail colossal a été fait. C’est aussi une satisfaction. On est arrivé sur un projet validé par l’ensemble des présidents de ligue, malgré quelques oppositions. Le programme est validé depuis trois ans : le parcours vers le haut-niveau, le rôle de nos équipes techniques régionales qui ont un programme avec des fiches de missions très précises. Beaucoup plus de temps sur le terrain, modernisation de l’école de tennis… Tout ce travail a été effectué avec la création de Centres Fédéraux d’Entraînement (CFE), lieu où les jeunes qui doivent quitter leur club peuvent basculer. Il y aussi la création d’un véritable patron du haut-niveau dans chacune des régions avec les directeurs fédéraux de la performance, qui pilotent les projets jusqu’aux U14. Au-delà de 14 ans, il y a les parcours associés, avec des jeunes financés qui ne sont pas à Poitiers ou à Roland-Garros. Au CNE, on a neuf garçons et trois filles sous la coupe d’Ivan Ljubicic, qui a apporté son expérience de numéro 2 mondial mais aussi de coach avec Roger Federer. Tout ça nous permet d’accompagner les jeunes vers le haut niveau. Le projet d’être un champion ne peut pas être fédéral, il doit être individuel. Le choix de se structurer et de se lancer ne doit être qu’individuel. On peut être satisfait des résultats avec des jeunes qui émergent, Arthur Fils mais aussi Luca Van Assche, Giovanni Mpetshi. Aussi chez les filles avec Clara Burel et Diane Parry en qui on croit beaucoup. On a la volonté de les aider sans occulter le parcours qui peut être d’aller auprès d’académies, de privés… Moïse Kouamé était chez Justine Henin, il est venu au CNE, il garde son entraîneur. D’autres ont fait le choix d’entraîneur à l’étranger, je pense à Gabriel Debru qui a fait le choix d’aller chez Piatti. On veut orienter vers le projet individuel.
Le dernier pilier sont les grands évènements. On est propriétaire de Roland-Garros, du Rolex Paris Masters et du Greenweez Paris Major. Notre stade vit à l’année avec du basket, du volley, du break dance, la fête de la musique… sans pour autant aller vers une salle de spectacle ou concurrencer les salles. Il n’y a rien jusqu’à avril après le Greenweez. A partir d’avril, Roland-Garros retrouve la couleur ocre avec du tennis jusqu’en juin puis juillet avec les championnats de France. On maintiendra ces évènements et peut-être que l’on pourra inclure d’autres sports dans ce cadre du Stade de Roland-Garros.
"Ivan Ljubicic a des exigences et à un moment donné il a assumé des responsabilités après les Jeux Olympiques"
Il n’y a plus de DTN depuis les Jeux. Un nouveau gouvernement est mis en place. Allez-vous proposer un DTN maintenant qu’un Ministre des Sports a été nommé ?
Il y a un Ministre qui vient d’arriver. On a eu une période compliquée. Il fallait attendre que le nouveau Ministre arrive. On est à deux mois des élections, la DTN fonctionne bien, avec un parcours vers le haut niveau dans les territoires. Le responsable est Patrick Vergnes, cadre d’état et qui connaît parfaitement nos territoires. On a un responsable du haut-niveau qui est Ivan Ljubicic. Il y a un programme mis en place. La formation fonctionne remarquablement bien avec Pierre Cherret. Le développement de la pratique avec Daniel Courcol fonctionne aussi très bien. Il n’y a pas d’urgence. On va attendre les élections avant la mise en place d’une nouvelle équipe.
Comment avez-vous convaincu Ivan Ljubicic de rester alors qu’il voulait partir après les Jeux ?
Il a le caractère qui va bien avec son parcours. Il est né en Bosnie, il a traversé la Serbie en période de guerre, puis accueilli en Croatie avant de s’entraîner en Italie. Il a un parcours compliqué. Il a des exigences et à un moment donné il a assumé des responsabilités après un évènement, qui était les Jeux Olympiques. C’est un bon signal. Ces remarques sont prises en considération et on tiendra compte de ses remarques pour progresser.
On peut être inquiet concernant le haut-niveau. Aucune médaille aux JO, c’est difficile pour les Français de briller en Grand Chelem. Comment vous analysez cela ?
Je crois qu’il faut faire preuve de patience. On quitte une génération de joueurs d’exception avec Rafael Nadal, Roger Federer et Novak Djokovic qui ont accaparé toute la lumière. On avait derrière des Gaël Monfils, Gilles Simon, Jo Tsonga, Richard Gasquet. Chez les femmes, on a gagné trois tournois du Grand Chelem, Mary Pierce, Amélie Mauresmo, et Marion Bartoli. Des génies comme Carlos Alcaraz ou Jannik Sinner, j’aimerais qu’on en ait mais on a de très bons jeunes qui vont peut-être se révéler. Arthur Fils a battu quatre Top 20 de suite à Tokyo, il a battu Zverev il y a peu… Je regrette qu’il n’y ait pas eu d’exploit aux Jeux. Il n’y a pas eu de contre-performance, hormis peut-être Caroline Garcia qui a perdu contre une joueuse moins bien classée. Il n’y avait pas péril dans la demeure. Il y a une émulation chez les garçons, moins chez les filles. On aimerait que la densité soit plus forte chez les filles. C’est pour cela que nous avons mis l’accent sur la formation des moins de 10 ans, pour avoir peut-être un Alcaraz bientôt.
Sur les critiques de Jo-Wilfried Tsonga : "Ne nous lançons pas dans ce type de procès. On a besoin de tous œuvrer ensemble"
Jo-Wilfired Tsonga a critiqué ouvertement votre présidence en déplorant les différentes affaires qui vous concernent. « Je suis fatigué que l'on parle du sport que je chéris le plus à travers des histoires de malversations », a-t-il lâché. Que répondez-vous à Jo et trouvez-vous les critiques trop dures ?
Je ne sais pas si les critiques sont à mon égard. J’ai énormément de respect pour le joueur qu’a été Jo-Wilfried Tsonga. Maintenant, il est dans une vie professionnelle où le business est important. Il a des affaires et il faut qu’il fasse tourner ses affaires. Je le comprends. La seule chose que je rectifierais, ça touchait la capacité que nous avons à travailler avec tout le monde. C’est ce que nous faisons. Maé Malige est dans son académie et est financé par la Fédération. Chez Mouratoglou, il y en a aussi… Ne nous lançons pas dans ce type de procès. On a besoin de tous œuvrer ensemble pour avoir un grand champion demain et je serais ravi que ce grand champion ou cette grande championne ait été formé dans une académie ou ailleurs. En revanche, tous les joueurs qui sont passés par le très haut niveau ont été formés par la Fédération. Jo a été entraîné par Eric Winogradsky, il a été financé par la fédération. Il a aussi reçu un grand nombre de wild-cards. L’aide apportée à tous les joueurs a été très importante. Je leur ai dit : « N’oubliez pas que vous avez tous été aidés par la Fédération ». La wild-card à Roland-Garros, c’est une somme importante assurée. N’oublions pas ça. Travaillons tous ensemble pour le bien du tennis.
« On peut se tromper sur un certain nombre de points et on reconnaîtra » aviez-vous déclaré après votre élection. Quelles erreurs reconnaissez-vous ? Et que pensez vous des critiques à votre encontre ?
D’abord, l’humain est perfectible. On a fait de très belles choses et il y a eu quelques erreurs, probablement. En revanche, ce que je n’appréhendais pas vraiment dans le monde du sport, c’est la politique. La première chose qui m’est arrivé, c’est une diffamation. J’ai été diffamé, j’ai attaqué et j’ai gagné. Mon adversaire a été condamné par la justice française. Nous avons encore deux attaques en diffamation. On ira devant le tribunal correctionnel et on ne lâchera rien. Je ne veux pas éluder ces sujets. Le parquet national financier : j’ai déjà été attaqué avant mon élection. J’ai été mis en haut de l’affiche et derrière le PNF a rendu un jugement : classé sans suite, absence totale d’irrégularité. Le problème, c’est que ça, c’est une ligne dans un journal. Vous êtes un média, vous vivez des gros titres, il faut l’accepter, malheureusement. Je l’accepte. C’est le monde dans lequel on est. C’est aussi l’utilisation des réseaux sociaux. La dernière en date, j’ai été obligé de déposer plainte la semaine dernière de quelqu’un qui écrit quelque chose qui n’est pas acceptable.
Je trouve qu’on devrait être plus digne pour notre fédération. Que l’on m’attaque moi… Je préférerais que ce soit un débat d’idées dans cette campagne, pas un débat de personnes. J’ai un bilan et on peut rentrer dans ce qui a été fait. J’aimerais qu’on rentre dans ce qui a été fait pour le tennis féminin, les bénévoles, la billetterie de Roland-Garros, l’arrivée d’Amélie Mauresmo à Roland-Garros, de Cédric Pioline au Rolex Paris Masters et d’Arnaud Di Pasquale au Greenweez Paris Major, la progression du nombre de licenciés, l’aide aux clubs… Dans le mandat précédent, 22 millions d’euros ont été donnés pour aider les clubs, on a donné 33 millions d’euros. On a aidé considérablement les clubs. Le dialogue et le partage ont été mis en place. Les clubs ont des idées que nous reprenons pour proposer à l’ensemble des clubs. On a des gens qui attendent pour rentrer dans les clubs. On va augmenter l’aide aux clubs. On va distribuer 60 millions aux clubs désormais, selon les besoins. On ira au contact des clubs pour comprendre ce qu’il faut. On fera preuve de solidarité pour aider les clubs qui souffrent. On essaiera de mutualiser les petits clubs, pour l’administratif, l’enseignement et les compétitions.
" Il y a probablement eu une souffrance au sein de la FFT. Je l’ai entendue, nous l’avons entendue"
N’êtes-vous pas trop dur ? Pensez-vous que le programme fair-play va réassainir le climat au sein de la FFT ?
Le projet fair-play, c’est quoi ? Notre Fédération a grossi ces quatre dernières années. Nous étions 360, nous sommes 500 au siège. Le chiffre d’affaires a augmenté… Il y a probablement eu une souffrance au sein de la FFT. Je l’ai entendue, nous l’avons entendue. Nous avons pris des mesures après un diagnostic diffusé sur les réseaux sociaux. La qualité de vie à la FFT est jugée satisfaisante, correcte. La note doit être dans toute entreprise entre 50 et 70 et elle est de 62 à la FFT. Ça ne veut pas dire qu’il n’y avait pas de souffrance ou de choses à améliorer. C’est ce qui a été présenté dans « fair-play ». C’est un peu comme un match de tennis, parfois on gagne et parfois on perd. Il faut apprendre de ses défaites. On est passé d’une TPE (Très petite entreprise) à une ETI (entreprise de taille intermédiaire). Il fallait aussi qu’on digère et qu’on consolide cette croissance. Notre objectif, c’est de faire appel à un organisme international, Great Place to Work, pour faire en sorte que notre fédération soit un endroit où on a envie de travailler.
Si vous avez appris une chose en quatre ans, ce serait quoi ?
J’ai appris que c’est la passion qui mène les acteurs du tennis. Si c’est autre chose que la passion, il faut faire autre chose. Il faut aller en politique ou ailleurs. Je vais faire référence à un grand philosophe, Charles Pépin (Ndlr : un philosophe et romancier français), qui a écrit un livre qui s’appelle « La Rencontre ». Sachez que j’ai croisé des gens dans les clubs de tennis, je n’ai fait que des rencontres exceptionnelles. Il fait la différence entre les personnes croisées et les rencontres. J’ai rencontré des passionnés comme moi, qui sont bénévoles, qui s’occupent de l’entretien des clubs. C’est cette passion qui m’anime. Je pense qu’il y a encore beaucoup de choses à faire dans cette fédération.
Vous avez une minute pour convaincre que vous êtes la bonne personne pour gérer la Fédération Française de Tennis.
Il y a des gens dans les territoires qui sont vos représentants. Ils sont en grande majorité à nos côtés. Il y a une équipe autour de moi qui s’est renforcée. Continuons tous ensemble et soyons « Unis pour notre Fédération ». La Fédération n’appartient à personne, pas à Gilles Moretton, ni personne d’autre, mais plutôt à tout le monde, tous les licenciés, tous les clubs, au même titre que le Stade Roland-Garros. Dès que je reçois du monde, je leur dis : « Bienvenue chez vous ». Ce stade nous appartient à tous. C’est un héritage que l’on doit à Philippe Chatrier et ceux qui ont construit le stade en 1928. Il y aura le centenaire pendant ce mandat et j’espère le partager avec tous les passionnés de tennis.
Publié le par Tennis Actu