Guy Forget : "Quand on me dit que la relève n'est pas là..."
INTERVIEWQui de mieux que Guy Forget pour revenir sur cette belle année de tennis ? Comme à la fin de l'année 2023, l'ancien joueur français a dressé un bilan de la saison 2024 pour Tennis Actu. L'ancien capitaine des équipes de France de Coupe Davis et de BJK Cup, également consultant Prime Vidéo, intervenant en entreprise et président de la Fondation Sport for Life, nous a accordé un long entretien pour évoquer tous les sujets chauds de 2024 et livrer son analyse. L'ex quatrième joueur mondial a bien entendu parlé de la retraite de Rafael Nadal, des belles performances des Français en 2024, mais aussi des tests positifs de Jannik Sinner et Iga Swiatek. ENTRETIEN.
L'ENTRETIEN Guy Forget sur Tennis Actu
"Il ne peut pas y avoir un règlement à deux vitesses pour le dopage. On ne peut pas suspendre une joueuse un an et l’autre trois semaines"
Guy Forget, comment allez-vous ? Toujours occupé entre le tennis et le golf ?
Oui oui, ça va bien. Je suis sorti du Covid mais ce n’était pas méchant. Un peu de repos et ça va mieux.
La saison 2024 s’est terminée avec quelques polémiques de dopage. Jannik Sinner et Iga Swiatek, le numéro 1 actuel et l’ancienne numéro 1, testés positifs. Quel regard portez-vous sur ces situations et les sanctions infligées ?
Ce sont toujours des sujets délicats. Il faut lutter contre ces fléaux avec la plus grande fermeté. J’ai toujours l’impression tout de même qu’il y a un tel degré de sophistication dans les tests. On peut trouver une cuillère à café de sucre dans une piscine olympique… Il y a tellement de joueurs qui prennent des compléments alimentaires et des vitamines, qui peuvent prendre des éléments pollués et qui, même sans le savoir, entraînent des contrôles positifs. C’est un drame absolu pour ceux qui sont innocents… Je ne parle pas de ceux qui sont coupables et récidivistes… Je me mets à la place d’un athlète contrôlé positif avec une substance en quantité infinitésimale. On peut se dire « je vais être empêché de vivre ma passion » sans volonté de tricher. Moi, je vois un peu les choses comme ça pour Halep, Swiatek et Sinner. Le problème, c’est qu’il ne peut pas y avoir un règlement à deux vitesses. On ne peut pas suspendre une joueuse un an et l’autre trois semaines. C’est un peu ce deux poids, deux mesures qui poserait problème. Je ne doute pas de la bonne foi de Sinner. Dans d’autres cas, ça s’est produit. Certains disent aussi qu’il n’y a rien du tout en termes de sanction et que ça passe tout seul. Ce sera dur pour lui s’il y a une sanction rétroactive.
Nikolay Davydenko trouvait absurde d’avoir allongé la liste des produits interdits de cette manière. Finalement, les joueurs ont une épée de Damoclès au-dessus d’eux en permanence.
Moi, j’ai joué à une époque où on ne se souciait pas de ça. Nikolay Davydenko plus tard également. On prenait de la vitamine C, différentes vitamines, du fer… Des choses banales. Les contrôles cherchaient les anabolisants, ce qui amélioraient vraiment les capacités physiques de l’athlète. Il y a eu une telle sophistication des produits dopants que les instances ont dû faire preuve d’une extrême vigilance. Parfois, certains se retrouvent à la Une des journaux maintenant. Les no-shows, qui sont problématiques… Heureusement que nous n’avons pas évolué avec ces contraintes.
Vous êtes inquiet pour l’image du tennis ?
Le sport a été et sera entaché à l’avenir dès qu’il y a une histoire de dopage, même sans tricherie. Ce n’est jamais bon pour le sport et on ne peut qu’être inquiet. Il faut être vigilant dès qu’on prend quelque chose. Vous ou moi, on fait un test, on est peut-être positif. On ne fait pas attention et on ne veut pas pour autant améliorer nos capacités physiques. Le sportif, en compétition, il ne peut pas se permettre d’avoir ce laxisme ou de laisser aller. C’est comme lorsque l’on voit une enquête pour agression sexuelle, même en cas de non-lieu ou d’innocence, ça laisse toujours une trace.
Les explications d'Iga Swiatek après son contrôle positif et sa suspension
"Quand j'ai vu perdre Rafael Nadal comme il l’a fait, c’était bien, le bon moment"
L’évènement de cette année 2024 reste la retraite d’une légende. Vous n’avez jamais caché votre admiration pour Rafael Nadal. Vous avez pu retenir vos larmes lors de la dernière apparition de Rafa ?
Oui… J’ai pu retenir mes larmes parce que je l’ai trouvé digne, presque heureux. Il était même parfois gêné de l’ampleur que ça prenait dans les lieux où il allait. Il avait un pincement au cœur devant sa famille, mais il connaissait l’issue de ce qui allait se passer. Il était déçu d’avoir fait perdre son équipe en Coupe Davis. On sait à quel point cette compétition et représenter son pays comptent pour lui. Il était triste mais à sa place. Quand je l’ai vu perdre comme il l’a fait, c’était bien, le bon moment. Je n’ai pas envie de voir Rafa rater des balles faciles, des volées penalties. De penser qu’il allait pouvoir battre un joueur qui joue toutes les semaines, ce n’était pas possible. J’ai presque trouvé plus émouvant de voir les meilleurs moments de sa carrière. C’est tellement incroyable. Je suis toujours aussi admiratif et je suis content qu’il ne soit plus là, qu’on passe à autre chose, et j’ai hâte de lui lancer un défi au golf, où il va devenir très fort.
Le discours d'adieu de Rafael Nadal en Coupe Davis
Les adieux ont fait parler. Peu de légendes du sport étaient présentes. Ces adieux étaient-ils à la hauteur selon vous ? Avez-vous ressenti un manque ?
Aucun hommage ne pouvait être assez grand et beau pour saluer la carrière de Rafa. C’est tellement énorme ce qu’il a accompli… Céline Dion qui chante au 1er étage de la Tour Eiffel et lui en dessous, il n’y a qu’un truc comme ça qui pourrait être à la hauteur. Ça fait un peu pétard mouillé, je comprends, mais rien ne pouvait être à la hauteur de sa carrière.
Roger Federer a terminé sa carrière avec Novak Djokovic, Andy Murray et Rafa Nadal. Ne trouvez-vous pas gênant qu’ils aient été absents pour Nadal ?
Roger a toujours été fort pour bien faire les choses, au bon moment. Par définition, un joueur de tennis est un solitaire. Il est ravi du soutien des autres mais… On aurait aimé que ce soit comme Roger Federer en Laver Cup pour Rafa, mais voilà. Il était avec ceux qui comptaient pour lui, dans une épreuve officielle, pour son pays. La boucle est bouclée. Je pense qu’il n’en tiendra pas rigueur à Roger et Novak.
"Si Novak Djokovic peut jouer comme aux JO, il peut encore battre Sinner ou Alcaraz"
Et Novak Djokovic, peut-il encore briller sans ses rivaux ? Peut-il aller chercher un titre du Grand Chelem ?
Je crois que Novak est motivé par les records. Atteindre un sommet jamais gravi. Avec un ou deux de plus, ce sera l’Everest. Il ne s’entraîne que pour ça. Il adore l’Open d’Australie. Un joueur ne veut jamais perdre, c’est douloureux. J’ai confiance en Novak pour garder cet état d’esprit. En revanche, s’il est diminué physiquement, s’il perd contre des joueurs qui lui paraissent en-dessous, je ne sais pas s’il va aimer jouer longtemps. Je ne vois pas Novak jouer plusieurs semaines en perdant des matchs, comme a pu le faire Nadal.
On pourrait imaginer que 2025 soit la dernière année de Novak Djokovic sur le circuit ?
A mon avis, seuls les problèmes physiques pourraient le faire arrêter. Ça a été le cas pour Roger et Rafa. Son niveau de jeu a été époustouflant aux JO de Paris. Il est capable de battre encore Alcaraz, Sinner… Je me souviens de la finale de Roland-Garros cette année. Honnêtement, si Federer, Nadal et Djokovic avaient joué cette finale à un niveau moyen, les trois auraient gagné contre Alcaraz ou Zverev. Si Novak peut jouer comme aux JO, il peut encore battre Sinner ou Alcaraz.
L’après Big 3, c’est une inquiétude ?
Non, non. Sinner, Alcaraz, ils peuvent encore progresser. Dans trois ans, ils seront bien plus forts qu’ils ne le sont aujourd’hui. Ils ne sont pas encore au niveau de Roger, Rafa et Novak, quand ces derniers étaient au top. La question, c’est « Où sera Novak en 2025 ? ».
"Ugo Humbert doit déjà viser une victoire en Masters 1000 mais il peut viser aussi un titre en Grand Chelem"
Et le tennis français ? Ugo Humbert a été brillant à Bercy. Il vous a impressionné ?
Il ne m’a pas impressionné… Quand il joue bien, c’est propre, efficace, bien construit. Il a franchi un cap dans tous les compartiments du jeu. Il cherchait son tennis il y a un an et demi, et avait des problèmes de santé. Il devait se mettre une pression trop forte. Il y a plus de sérénité aujourd’hui. Un peu comme Sinner et Alcaraz, il est perfectible. Quand on a cet âge et qu’on est perfectible, on peut se dire que les saisons à venir peuvent être encore plus ensoleillées.
Il a été transparent en évoquant le Top 10 et la volonté de progresser physiquement. C’est ce cap-là à franchir pour être potentiel demi-finaliste de Grand Chelem et même viser plus haut ?
Oui, il doit viser un titre du Grand Chelem. Cela ne viendra pas du jour au lendemain. Il doit déjà viser une victoire en Masters 1000. Mais, avec un bon tableau en Australie, une demi-finale contre Zverev, il peut gagner et aller en finale. Tout est faisable en finale. On se souvient de Jo Tsonga contre Djokovic. Jo n’était pas loin. Les grosses carrières démarrent comme ça. Il est perfectible sur pas mal de secteurs du jeu, tactiquement il peut mieux jouer, il peut progresser techniquement, il doit encore s’étoffer sur le haut du corps… Il y a des choses que j’aime beaucoup et d’autres qu’il laisse passer. Je suis sûr qu’avec Jérémy Chardy, ils vont combler ces lacunes qui le séparent du Top 5. Je crois vraiment qu’Ugo peut ambitionner d’être juste derrière Sinner et Alcaraz.
On a la sensation qu’il a un équilibre avec ses coachs, sa vie personnelle… C’est aussi un aspect important.
Oui, tout à fait. On ne peut pas être un bon joueur et avoir une vie dissolue, être perturbé. La stabilité en dehors du terrain lui permet d’être solide sur le terrain. On le voit. En dehors du court, il fait de la musique, il chante. Il a une vie affective équilibrée avec une compagne qui connaît le tennis, qui joue. Ils peuvent se soutenir l’un l’autre. Ses parents sont proches et ne lui mettent pas de pression. Le public le soutient. Le cadre dans lequel il évolue est vraiment très bon.
"Revoir Lucas Pouille dans le Top 20 mondial, ce n’est pas du tout de l’ordre du miracle ou de l’impossible"
Comment voyez-vous 2025 pour les autres Bleus. Arthur Fils et Giovanni Mpetshi ont progressé en 2024. Comment voyez-vous la suite pour ces garçons ? On peut être optimiste non ?
Oui, on peut être optimiste. Des gens me croisent et me disent « le tennis français, la relève n’est pas là… ». On a quand même Arthur Fils et Giovanni Mpetshi, bien classés, perfectibles et en progression. Ce que j’aime bien chez Arthur, c’est qu’on sent que c’est bien en place. Il est fort physiquement. Il y a une base solide. Arthur peut gagner un Masters 1000 sur terre et sur dur. Ugo n’est pas encore à ce niveau sur terre sans doute. Arthur n’a pas de complexe. S’il rentre contre Alcaraz, il ne se dira pas que c’est difficile mais qu’il peut le battre. Il est conscient de sa valeur.
Pour Giovanni, c’est très difficile de se projeter. J’ai l’impression qu’il invente une nouvelle manière de jouer, quelque chose que l’on n’a pas vu dans le passé. Quand on voit ses résultats, il est capable de passer du néant à gagner un tournoi avec des cracks. C’est surprenant comme écart. Ugo et Arthur vont être sur des saisons plus linéaires. Giovanni est partout où on ne l’attend pas. Il a un jeu déroutant avec des garnisons d’aces… Il joue sur ce registre. Des gens critiquent mais parfois certains innovent. Peut-être qu’il va continuer comme ça pour utiliser des moments euphoriques ou alors il va tenter de gagner même quand son service est moins bien. C’est plus difficile de décrypter ce que fera Giovanni à l’avenir. Ce qui est sûr, c’est qu’avec Manu Planque, son coach, il doit travailler très dur et qu’il arrivera en Australie avec de nouvelles ambitions. Il bouge bien, il a une belle technique. Ce sera des options de jeu à prendre début 2025. Attaques à outrance ou jeu plus posé, on verra.
Il y a aussi une belle histoire, celle de Lucas Pouille. Il avait confié avoir dû lutter contre l’alcool et la dépression. Il a su cravacher pour performer en Challenger et être récompensé d’une wild-card pour l’Open d’Australie. C’est un beau retour.
Oui, j’aime beaucoup Lucas. C’est un garçon qui est passé par des moments difficiles, il avait perdu le goût du jeu. Il songeait même à passer à autre chose. Il a fait preuve d’humilité, de courage… Ces victoires contre des joueurs au-delà du Top 1000 ; on avait l’impression de le retrouver quand il était en demies de Grand Chelem. C’est important de retrouver du plaisir. Gagner un Challenger, c’est un tournoi de plage pour un fan qui regarde Wimbledon et les Masters 1000. Non, non… gagner en Challenger, il faut battre cinq mecs avec le couteau entre les dents. Il faut lui tirer notre chapeau d’avoir eu l’humilité de redescendre. Il est dans le bon wagon, le bon process, la bonne démarche maintenant. On va espérer que son corps le laisse tranquille. Il a été pas mal chahuté par des pépins. Il a retrouvé du plaisir, l’essentiel du jeu et j’espère qu’on va le retrouver à son meilleur niveau en Australie. Un coureur de 100m qui a couru en dessous des 10 secondes, même s’il passe en 10’30 et se blesse, il peut le refaire une fois libéré physiquement. Revoir Lucas dans le Top 20 mondial, ce n’est pas du tout de l’ordre du miracle, de l’impossible. S’il joue un Tsitsipas, un Zverev… les gars ne se diront pas « c’est bon, c’est Lucas Pouille ». Il a de la dynamite dans le bras. Il a une attitude de vainqueur. En forme, il n’a peur de personne.
Un pronostic pour 2025 ?
J’ai trouvé Jannik Sinner très fort pour finir 2024. Je l’ai trouvé bluffant il y a quelques années contre Rafa à Roland-Garros. Il va encore progresser. Lui et Alcaraz, je les sens au-dessus des autres. Nos jeunes ou les Tsitsipas, Zverev… vont devoir s’inspirer du travail de Sinner et Alcaraz. Je mets Novak à part. Pour les autres joueurs, il faudra franchir les étapes et tirer son épingle du jeu pour arriver en demies. Ensuite, tout est possible. Je pense qu’on va retrouver Sinner et Alcaraz reposés et avec une grosse préparation derrière eux. Sinner a un fond de jeu plus stable qu’Alcaraz. Mais, si les deux jouent à leur meilleur niveau, je pense qu’Alcaraz est plus fort. Il est plus rapide, plus puissant, il varie plus, mais , au détriment d’une régularité.
Publié le par Alexandre HERCHEUX