Jérémy Chardy : "Avec Ugo, il y a confiance, amitié et respect"
INTERVIEWJérémy Chardy n’est pas du genre à lésiner sur le travail, et son emploi du temps en témoigne. À 37 ans, l’ancien 25e joueur mondial cumule les casquettes. Depuis l’été 2022, il est l’entraîneur principal d’Ugo Humbert, tout en assurant la gestion sportive de l’Ultimate Tennis Showdown (UTS). Parallèlement, il dirige le Terega Open, un Challenger 125 organisé à Pau. Toujours très actif, le Palois a récemment été aperçu dans le box d’Alycia Parks, laissant entrevoir une possible nouvelle collaboration à venir.
L'ENTRETIEN Tennis Actu avec Jérémy Chardy
En plus de ses nombreuses responsabilités dans le tennis, Jérémy Chardy s’est engagé cette année sur le plan politique. Il soutient la liste de Germain Roesch pour la présidence de la Fédération Française de Tennis et a été élu, aux côtés de Nicolas Winograd, au comité départemental des Pyrénées-Atlantiques (64). Actuellement à Londres, où il réside et où s'est tenue la finale de l’UTS 2024, Jérémy Chardy a accordé à Tennis Actu un riche entretien fleuve en visioconférence. Il a - entre autres - soulevé quelques disfonctionnements de la FFT et pointé du doigt une mauvaise gestion des anciens talents français.
"J'essaie d'aider Ugo (Humbert) à ne pas commettre les mêmes erreurs que moi"
Jérémy, il est difficile de ne pas évoquer, pour lancer cet entretien, la saison 2024 d'Ugo Humbert, sa plus belle en carrière. Quel bilan avez-vous tiré ensemble après cette finale au Rolex Paris Masters ?
Une très belle saison. On est satisfaits de ses performances. Il n'avait jamais gagné autant de matchs, ce qui montre la solidité qu'il a eue tout au long de l'année. C'était un objectif bien atteint. Il termine avec son meilleur classement (14e) et une finale à la maison, à Bercy, donc c'est une belle manière de terminer la saison.
Vous travaillez ensemble depuis deux ans et demi. Il était 157e mondial à l'époque. Quel est le secret du duo Humbert - Chardy ?
Il y a beaucoup de confiance, d'amitié et de respect. C'est ce qui nous aide à avoir une si belle relation. On a envie de passer du temps ensemble, de gagner ensemble. Ce sont les clés de la réussite.
Vous partagez également des vacances ensemble, avec votre femme (Susan), votre fils (Stone) et la compagne d'Ugo (Tessah Andrianjafitrimo, 302e WTA)...
Je pense que c'est un avantage, on se connaît bien. On a partagé beaucoup de choses ensemble, on a partagé la même chambre pendant trois semaines lors des Jeux olympiques de Tokyo, ce qui nous a rapprochés. On a joué l'un contre l'autre. C'est devenu un ami et je suis content de pouvoir l'aider, partager l'expérience vécue dans ma carrière, essayer de l'aider à ne pas commettre les mêmes erreurs que moi, tout en profitant de ces moments ensemble. Être soudés est un gros avantage.
"Ugo sait que ce n'est pas magique, il a eu des moments difficiles"
Depuis sa finale au Rolex Paris Masters le 3 novembre, il semble avoir franchi un nouveau cap, notamment sur le plan médiatique. A-t-il évolué ou changé ?
Non, il n'a pas du tout changé. Ugo a de super valeurs et sait rester humble. Il est dans le travail et sait que ce n'est pas magique, il a eu des moments difficiles dans sa carrière. Actuellement, c'est un moment très positif donc il en profite et espère que ça va continuer. Mais ce n'est pas le genre de gars qui va changer parce qu'il a de bons résultats.
Quel sera le programme d'Ugo Humbert avant l'Open d'Australie, avez-vous déjà établi la programmation pour 2025 ?
Il disputera la United Cup, puis ne jouera pas la semaine avant Melbourne, où on fera une semaine d'entraînement. Après le Grand Chelem, il y aura la Coupe Davis puis la tournée Marseille - Doha - Dubai, et Indian Wells - Miami.
Fabrice Martin mettra sa carrière entre parenthèses pour suivre Ugo Humbert à temps plein. A contrario, vous allez réduire la voilure sur le nombre de tournois avec lui. Quel sera votre rôle pour Ugo en 2025 ?
Je vais voyager un peu moins, oui. J'ai aussi une famille, avec mon fils qui a démarré l'école. Mais je serai là sur les gros tournois (Open d'Australie, Indian Wells, Miami, Rome, Madrid, Roland-Garros, Wimbledon, puis la tournée américaine avec l'US Open, et le Rolex Paris Masters). Il y aura un mix entre Fabrice et moi-même. On va essayer de couvrir l'année et bien travailler ensemble pour continuer à le faire progresser.
Après 20 ans à voyager toutes les semaines, j'ai tout de suite entraîné Ugo. Je n'ai pas eu le temps de me poser à la maison. Je vais donc essayer de profiter de ma famille, voir mon fils grandir car ce sont des moments importants de la vie.
"Alycia Parks ? Pour le moment, il n'y a rien de concret"
Vous avez été aperçu dans le box d'Alycia Parks (103e) à Angers. Est-ce le début d'une nouvelle collaboration ?
J'ai fait quelques entraînements avec Alycia, et ses deux premiers tours à Angers. C'est une jeune joueuse avec beaucoup de talent et de potentiel. Il y a beaucoup de travail donc on verra. Il y aura peut-être une suite. Elle dispute son dernier tournoi à Angers, donc on parlera après. Elle est en quarts de finale (en demies ce samedi). Pour le moment, il n'y a rien de concret. Je ne l'avais jamais vu jouer avant et ne la connaissais pas du tout donc c'était sympa de la découvrir.
C'est une joueuse puissante, avec un gros service. Sur quels points doit-elle s'améliorer ?
Elle est très puissante partout, oui. Elle doit encore progresser physiquement et tactiquement, et savoir comment bien jouer les zones. Pour l'instant, elle cherche à trouver des coups gagnants rapides, et je pense qu'elle doit apprendre à construire un peu plus et développer ses armes physiques. Mentalement, elle a aussi du travail. C'est une jeune joueuse donc c'est intéressant. J'adore le tennis. Je suis passionné. Il fait partie de ma vie et le fera toujours donc j'aime bien tout challenge qui se présente.
"J'aimerais qu'on retrouve la fierté de représenter la Fédération"
Les élections pour la présidence de la Fédération française de tennis (FFT) auront lieu le 14 décembre prochain. Vous avez à plusieurs reprises annoncé soutenir Germain Roesch face à Gilles Moretton. Où en êtes-vous ?
Premièrement, je me suis présenté dans le Comité de mon département et on a été élu, ce qui était un bon moment pour toute l'équipe. On a envie d'essayer de faire pas mal de choses pour le tennis dans notre département (les Pyrénées-Atlantiques).
Rien n'a changé. Je supporte toujours Germain, j'adore ses valeurs. Pour moi, le but principal est que le tennis reprenne la part la plus importante en France. Mettons de côté la politique afin de se concentrer sur le sport et le sport de haut niveau. Il y a une fissure trop grande créée entre la Fédération, les joueurs de haut niveau et les coachs, ce qui me rend triste. J'aimerais qu'on essaie de rassembler la famille du tennis, et que tout le monde travaille ensemble pour essayer d'aider les jeunes, des clubs jusqu'au numéro 1 français, en trouvant les meilleures solutions pour aider le plus de personnes possible.
À quoi est due cette fissure selon vous ?
Le plus important est de réunir tout le monde, avec les académies et les projets privés. On est capable de pouvoir aider tout le monde, même ceux qui ne veulent pas rejoindre la Fédération dès le plus jeune âge. J'aimerais qu'on retrouve la fierté de représenter la Fédération, et que tout le monde aille dans le même sens. Pour l'instant, ce n'est pas le cas, ce qui m'attriste.
Germain Roesch, candidat à la présidence de la FFT, à notre micro en septembre
"Ne pas faire jouer Ugo Humbert sur le central, c'était un gros manque de respect"
Vous avez dit à Bercy, selon des propos rapportés par Le Figaro : "En raison de ma candidature, personne ne m'a serré la main. La décision de ne pas faire jouer Ugo Humbert sur le Central n'y est pas étranger." Que s'est-il passé exactement ?
Je pense que c'est la première fois qu'un numéro 1 français et 14e mondial ne joue pas sur le Central à Bercy. C'est étonnant et c'était un gros manque de respect pour Ugo. Après, je préfère qu'on se concentre sur le sportif et qu'on continue à faire ce qu'on a à faire. Je trouve juste ça dommage car un joueur français, qu'il soit à la Fédération ou en dehors du système, reste un joueur français.
C'est le rôle de la Fédération d'essayer d'intégrer tout le monde. Il y a beaucoup d'argent grâce à Roland-Garros. C'est quelque chose qui tient à coeur à Germain (Roesch). Il m'a demandé d'essayer de créer un groupe de travail dès le début pour réfléchir à toutes les situations depuis les clubs jusqu'au n°1 français. J'ai échangé avec mes amis, des joueurs, anciens joueurs, Académies, tout le monde... pour penser aux meilleures solutions pour accompagner le plus de monde. Si Germain est élu demain, tout le monde sera réuni et on essaiera de faire un pour que le tennis français continue d'avancer : le privé, le système fédéral et les clubs.
"La politique prend trop de place dans la Fédération"
Depuis que vous avez annoncé votre soutien à Germain Roesch, avez-vous remarqué un changement dans les regards portés sur vous ?
Non, c'est très facile pour moi. Je suis toujours droit dans mes bottes et je dis ce que je pense. Je suis un passionné et je me battrai toujours pour le bien du tennis et des joueurs. Ma mère est présidente d'un club, je connais plein de présidents de clubs. Je pense que la politique prend trop de place dans la Fédération. Les choix ne sont pas assez sportifs. À partir de là, c'est mon devoir, et aussi à d'autres personnes, d'essayer de remettre le sportif au centre. Je suis là pour dire ce que je pense et être le porte-parole de tous les joueurs. J'habite à Londres et je fais plein de choses dans le tennis. Je n'ai pas besoin de la Fédération, de poste à la Fédération, donc je suis libre de dire ce que je pense. Je soutiens et soutiendrai Germain jusqu'au bout car je pense que c'est le meilleur choix pour le tennis et les clubs.
"Ivan Ljubicic est responsable de beaucoup trop de choses"
La jeune Mathilde Ngijol Carré (17 ans), titrée aux Petits As, n'a plus de classement WTA. Y a t-il un problème avec le suivi de ces jeunes ?
Quand t'es jeune, si tu n'es pas pris dans un pôle France tout de suite, c'est plus difficile pour toi. On pourrait mettre des systèmes en place pour que les joueurs choisissent. Il n'y a pas un seul chemin pour arriver au haut niveau, et j'en suis un très bon exemple. Je n'ai jamais été dans un pôle France. C'est mon département puis ma Ligue qui m'ont aidé. Il faut être ouvert et accompagner les projets, il n'y en a pas 1 000 non plus. Il faut faire du cas par cas et permettre aux jeunes d'aller le plus haut possible, comme créer des groupes pour ceux qui ne sont pas pris en pôle France. Ce n'est pas parce que tu es le meilleur de ta catégorie d'âge que tu es garanti d'être un champion. C'est à nous de ne pas abandonner les jeunes.
Le rôle d'Ivan Ljubicic n'est pas clairement défini selon vous...
Ivan connaît très bien le tennis et a beaucoup de choses à apporter. Il a eu beaucoup d'expérience en tant que joueur et a entraîné Roger Federer. Mais je trouve qu'il est responsable de beaucoup trop de choses. Ce n'est pas facile de savoir ce qu'il fait vraiment. Ce serait bien qu'il ait des missions très précises et je suis sûr qu'il apporterait beaucoup de choses.
La deuxième chose qui m'a gêné est que le fait qu'il soit responsable de tout envoie un mauvais message, comme si en France il n'y a pas de personne assez performante pour avoir un de ces postes. C'est dommage car on a eu de super champions, comme Gilles Simon ou Jo-Wilfried Tsonga. Beaucoup pourraient l'aider. Dans notre pays, on a assez de qualités et de personnes qui peuvent aider.
"Gilles (Simon) avait un programme à mettre en place à la Fédération"
Et Gilles Simon a finalement rejoint le staff de Daniil Medvedev...
Le plus grand souhait de Gilles était de rejoindre la Fédération pour aider les jeunes. Il avait un programme à mettre en place. Mais on ne l'a pas intégré dans les plans, ce qui est dommage. Daniil Medvedev a raison de le prendre car Gilles a beaucoup de choses à apporter, il a été 6e mondial et est passionné. Ces choses-là sont un peu gênantes. De plus, Gilles est proche de la nouvelle génération car il vient d'arrêter sa carrière. C'est plus facile quand tu as encore les sensations du jeu et que t'es à fond dans le milieu. Il faut s'appuyer sur des gars comme Gilles.
Publié le par Timothée THOMAS-COLLIGNON