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Guy Forget : "Le sport est plus que jamais trop politique"

ITW / Le Mag
Mis à jour le par Alexandre HERCHEUX

Le 7 décembre 2021, Guy Forget annonçait quitter ses fonctions de directeur de Roland-Garros et du Rolex Paris Masters. Un départ motivé par le manque de communication avec la nouvelle présidence de la FFT. Deux ans plus tard, jour pour jour, l'ancien capitaine des équipes de France de Coupe Davis et de BJK Cup est épanoui et ne garde aucune amertume. Désormais consultant Prime Vidéo, intervenant en entreprise et président de la Fondation Sport for Life, l'ancien quatrième joueur mondial est revenu, au micro de Tennis Actu, sur son départ de la FFT et sa nouvelle vie. L'occasion également de discuter de l'actualité chaude : la nomination de Paul-Henri Mathieu à la tête de l'équipe de France de Coupe Davis, le changement de staff autour d'Arthur Fils ou encore le retour de Rafa Nadal en 2024. Entretien avec un Guy Forget qui n'a éludé aucune question.

Guy Forget, son long entretien pour Tennis Actu !

 

"Je passe mon temps à faire des interventions en entreprise ou en étant consultant sur Amazon. Je suis relativement occupé, mais j’ai aussi du temps libre"

Guy Forget, comment allez-vous ?

Je vais très bien. L’hiver arrive, c’est plus difficile de jouer au tennis ou au golf. Je me suis mis au golf il y a quelque temps et je continue de progresser, ce qui est l’inverse de ce qu’il se passe quand je vais sur un court de tennis. (sourire)

 

Consultant tennis et golfeur, ça vous résume bien maintenant ?

(Rires) Le golf est vraiment un loisir. Consultant oui. Je passe mon temps à faire des interventions en entreprise ou en étant consultant sur Amazon. Je m’occupe aussi d’une fondation dont je suis président, Sport for Life. (Fondation créée pour promouvoir les valeurs du sport à travers la pratique, la formation et le partage). Je joue aussi encore au tennis avec des jeunes. Je suis relativement occupé, mais j’ai aussi du temps libre.

 

Cet équilibre vous rend épanoui aujourd’hui ?

Quand on regarde les nouvelles à la TV, on se rend compte que dans le tennis, nous sommes privilégiés et on peut faire des choses qui nous passionnent.

 

"J’ai baigné là-dedans et j’ai toujours fait de mon mieux pour représenter la Fédération (...) Pour l’instant, la page est un peu tournée"

Il y a deux ans, vous quittiez vos fonctions de directeur de Roland-Garros et du Rolex Paris Masters. Comment vous vous sentez depuis ?

Écoutez, dans une carrière, on a des challenges, des objectifs… Je suis rentré dans le tennis, car mon père était prof. J’ai pu jouer en pro. J’ai représenté la France. J’ai été sélectionneur. J’ai eu un poste au Rolex Paris Masters puis ensuite à Roland-Garros. Aujourd’hui, j’écris un nouveau chapitre. Je suis toujours proche du tennis. Ma passion du jeu reste intacte. Je suis l’actualité, ce qu’il y a de bien et de moins bien. Je garde un regard affectueux sur ce sport.

 

La fin de l’histoire avec la Fédération restera une blessure pour vous ?

C’est plutôt dans la manière. Finalement, c’est moi qui suis parti. J’aurais pu continuer même si le contrat proposé était plutôt une volonté de travailler avec une autre équipe. On parle de famille du sport, ça l’a été. Aujourd’hui, c’est plus que jamais très politique. Tout ce qui rentre dans ces considérations-là me dérange. Il y a eu des gens qui ont fait un travail remarquable à la FFT, dont je suis issu donc je pèse mes mots. Il y a eu plein de gens remerciés, avec qui ça s’est passé bien plus mal. J’ai toujours de la peine quand je vois des gens qui doivent quitter cette grande et belle maison. Néanmoins, ce n’est pas simple de gérer des équipes comme celles-là. Je suis bien mieux loti que certains. J’ai la chance de pouvoir faire ce qui me plait, ce qui n’est pas toujours le cas de gens qui ont dû quitter la FFT. Je dirai que c’est le propre de chaque nouvelle équipe, nouveau gouvernement. On a toujours envie d’essayer de faire mieux que les prédécesseurs et de réinventer la roue. Dans certains secteurs de la Fédération, il y a des choses qui marchent bien, parfois moins bien. Changer, ce n’est pas toujours pour faire mieux.

 

Vous avez rebondi tout de suite ? Ou vous avez eu une période difficile moralement ?

Non non… Je peux me permettre de ne pas travailler et de m’amuser. Je fais plein de choses où je m’éclate. Que ce soit par la transmission des valeurs du sport, où je rencontre des gens formidables en entreprise ou avec des marques, ou en aidant des jeunes… J’ai du temps pour moi, mais tout ça peut changer. Avoir du temps pour profiter de ses enfants… C’est ce que beaucoup de gens demanderaient.

 

Vous avez échangé depuis avec la Fédération ?

Pour l’instant, la page est un peu tournée. J’ai encore plein de copains à la FFT. Je suis dans ce milieu depuis le plus jeune âge et je ne suis jamais parti. J’ai baigné là-dedans et j’ai toujours fait de mon mieux pour représenter la Fédération. J’ai plein de copains qui travaillent encore dans la maison. Je les vois, je sais encore ce qu’il se passe. Je garde un œil tendre sur ce qu’il se passe. C’est pour ça que quand je lis des choses pas très sympathiques dans la presse, ça me fait mal. Je regarde ça parfois avec un œil triste. Je me réjouis aussi de voir des jeunes joueurs éclore. Je pense à tous les entraîneurs qui font un travail remarquable dans les ligues. Malgré les critiques, il y a des gars sur le terrain qui font un boulot remarquable.

 

"Laisser croire à 12 personnes qu’elles peuvent être capitaine de Coupe Davis, c’est idiot pour ne pas dire presque malhonnête..."

Paul-Henri Mathieu a été nommé à la tête de l’équipe de France de Coupe Davis. Choix logique ?

Ils étaient beaucoup à prétendre… Je pense que pas mal de ces garçons auraient fait du bon boulot. C’est difficile de se projeter, car la plupart d’entre eux n’ont jamais été sélectionneur. Moi, mes deux premières années ont été difficiles. J’avais des garçons talentueux, mais pour certains égocentriques. J’ai commis des erreurs parfois. On n’est pas le copain quand on est sélectionneur. J’ai été bien meilleur capitaine quelques années plus tard. Paul-Henri, qui est un garçon passionné et intelligent, va tout donner, mais il va apprendre sur le tas et commettra des petites erreurs, c’est bien normal. Je n’ai aucun doute sur sa rigueur, le cœur et son professionnalisme. Je l’ai eu comme joueur, il a toujours tout donné. Il va amener toute cette rigueur, ce souci du détail.

 

Gilles Simon était aussi candidat. Vous comprenez le choix de la FFT de ne pas le prendre ?

Je vais peut-être froisser certaines personnes… Le process a été ridicule. Les joueurs ne choisissent pas le capitaine. Il y a une discussion, mais on ne peut pas nommer un capitaine qui n’est pas plébiscité par les joueurs. J’ai eu des capitaines avec qui je n’avais pas les meilleures relations, et ce n’étaient pas les meilleurs capitaines. Laisser croire à 12 personnes qu’elles peuvent être capitaine, c’est idiot pour ne pas dire presque malhonnête. J’ai reçu un mail de l’assistante du président pour éventuellement avoir un entretien. Je savais que j’avais peu de chances d’être retenu pour des raisons politiques. De plus, ce sont des joueurs que je connais moins bien. Je savais que beaucoup parmi les 12 autres avaient 0,0% de chance d’être nommés. Je n’ai pas compris l’idée de recevoir des candidats potentiels pour avoir leur vision… Non. On discute d’abord avec les joueurs en leur demandant une liste de capitaines possibles. Le DTN aurait pu suggérer des noms aussi. Et ensuite, convoquer ces personnes pour être entendues et ensuite adoubées par le COMEX. Marion Bartoli, Jo-Wilfried Tsonga... il y allait y avoir des problèmes politiques. Pourquoi mettre la charrue avant les bœufs ? Je trouvais inutile de rencontrer le président pour un poste où je n’avais aucune chance d’être retenu. On dit « pourquoi pas Tsonga, pourquoi pas Simon… ? ». En réalité, je pense que la FFT ne pensait qu’à deux ou trois noms au maximum.

 

Quelle réaction avez-vous eue en recevant le mail ? Un sourire ironique ?

Oui j’ai un sourire… Des personnes qui ont dirigé l’équipe de France, on n’est pas 50. Il y a Yannick Noah, Arnaud Clément et moi. On sait ce qu’on peut apporter ou pas. J’ai souri. J’ai reçu un courrier de l’assistante du président, pas du président lui-même. C’est de la com’, et aujourd’hui c’est important, on le voit avec le gouvernement. Quand on a connu la Coupe Davis comme j’ai connu, on peut regretter une certaine époque.

 

Le mot projet ne paraissait pas clair. Vous avez compris ce que la FFT demandait aux candidats en présentant un « projet » ?

Là encore, c’est de la com. C’est comme quand certains joueurs parlaient des matchs en laissant sous-entendre que certains ne connaissaient pas les parties tactiques. J’ai vu tellement de parfaits crétins gagner en Grand Chelem, qu’intellectualiser un style ou une fonction… Je pense qu’il faut simplifier parfois. En ce qui concerne le capitaine, on n’est pas formé par la FFT. Ma seule expérience a été mon observation des capitaines que j’ai eus. Je voulais des relations fortes, des rapports sincères et authentiques avec les joueurs. Le projet… Vous récupérez des joueurs parfois 5-6 jours avant une rencontre. Comment vous allez changer son état de forme ? C’est délicat. Le capitaine doit être au contact tout au long de l’année pour connaître le joueur, le travail, les doutes, la progression. Il n’y a pas de projet à entendre. Ensuite, un capitaine est jugé sur ses résultats. Quand l’équipe gagne, c’est bien, quand elle perd, on a envie de tout remettre en question et de changer.  

 

Paul-Henri Mathieu, nommé capitaine de l'Équipe de France de Coupe Davis le 17 novembre

 

"Sergi Bruguera et Sébastien Grosjean vont amener leur expérience, leur savoir, leur passion à Arthur Fils, qui est une pierre précieuse dont on taille les facettes"

Vous êtes optimiste pour le tennis français masculin, avec des jeunes affamés et des anciens encore présents ?

Oui, je suis toujours optimiste. Ce serait faire injure à ceux qui se lèvent et partent avec des jeunes garçons et des jeunes filles pour les faire travailler et faire d’eux leur propre champion. Tout le monde n’est pas Rafa Nadal ou Serena Williams, amener quelqu’un à son potentiel de 50e mondial, c’est très bien ! Après, avoir la prétention qu’avec une politique sportive, on va faire gagner Roland-Garros ou Wimbledon, c’est de la malhonnêteté. Ce n’est pas un programme qui fait gagner un champion. Serena Williams, Roger Federer, ou Rafael Nadal sont nés champions. Ils ont su s’entourer. Mais ce n’est pas parce que le tennis espagnol a monté une académie, où les joueurs font des footings, du panier ou des coups droits et revers liftés, qu’ils ont gagné Roland-Garros. Ce serait faire injure à la légende qu’est Rafael Nadal. C’est Pelé, c’est Picasso, c’est Mozart. C’est un individu hors du commun dans son ADN et ça ne se fabrique pas. Une Fédération a pour rôle d’encourager les jeunes, jusqu’à 18 ans et l’autonomie financière. Ce n’est pas une Fédération qui fait un champion.

 

Vous parlez de l’importance de l’entourage. Arthur Fils a récemment changé d’organisation et travaille désormais avec Sébastien Grosjean et Sergi Bruguera. Ça vous inspire quoi ?

Tous les deux sont des garçons qui aiment particulièrement le tennis. Ils vont amener leur expérience, leur savoir, leur passion à Arthur, qui est une pierre précieuse dont on taille les facettes. Son entourage n’ambitionne pas d’être juste 10e mondial. C’est un garçon qui a beaucoup de talent, qui a des qualités physiques hors-normes. Quand on regarde Nadal, Federer et Djokovic, ils étaient sans doute les meilleurs athlètes du circuit. Les plus rapides, les plus tenaces, les plus endurants…La manière dont Arthur s’entoure est très importante. On espère qu’en cours de route, il ne va pas se perdre avec toutes les dérives et les excès que la vie de sportif peut entraîner. Je pense qu’il est bien entouré et Sébastien et Sergi connaissent les faux-pas à éviter. Ils vont l’accompagner et le faire progresser. Pour parler de manière plus technique, j’ai toujours été étonné par des joueurs que je retrouvais en Australie, quand j’étais capitaine, qui avaient les mêmes lacunes que l’année d’avant. Un jeu qui n’avait pas évolué. C’est embêtant, car ce n’est pas qu’ils sont mauvais, mais ils n’ont pas travaillé. Je crois que ce qui est important pour Fils, Van Assche et d’autres talentueux, c’est que leurs entraîneurs ne jouent pas la carte du court terme, mais plutôt construire un joueur pour être numéro 1, comme Jannik Sinner ou Carlos Alcaraz. Parfois, ils peuvent se tromper un peu, mais c’est l’expérience qui fera la différence. La base est déjà là. J’espère que Seb et Sergi vont aider Arthur à combler ses petites lacunes pour battre Jannik Sinner et Novak Djokovic.

 

Un titre en Grand Chelem doit être visé, « la carotte » au quotidien ?

J’ose imaginer que c’est dans un coin de sa tête. Ce serait maladroit de l’exprimer, on peut manger la feuille derrière… Pourquoi exposer publiquement son ambition ? Fais ton travail dans l’ombre, approche-toi des meilleurs et tu pourras gagner un Grand Chelem. Ce serait s’apporter une pression supplémentaire et un joueur de cet âge n’en a pas besoin. Pour moi, Rafael Nadal est l’exemple du joueur humble, respectueux, qui a travaillé plus que d’autres dans l’ombre. Il revient encore et je suis convaincu qu’il aborde sa préparation avec la même rigueur que lorsqu’il avait 16 ans.

 

Arthur Fils va s'entraîner avec Rafa Nadal au Koweït

 

"On pourrait voir arriver Rafa Nadal à Roland-Garros avec des victoires significatives et on se dira peut-être : « Et si ce n’était pas lui le favori de Roland-Garros ? » "

Que vous inspire ce retour de Rafa ? Pensez-vous qu’il pourra encore briller au plus haut niveau ?

Je n’en sais strictement rien. Ce dont je suis sûr, c’est que son engagement, sa rigueur et sa concentration seront intacts. C’est comme pour un pilote de Formule 1, il faut une bonne voiture. Est-ce qu’aujourd’hui sa voiture est assez performante pour être à armes égales avec Sinner ou Djokovic qui ont des bolides. Je parle du corps bien sûr. Son corps est-il capable de répondre aux défis physiques de ces joueurs-là ? Il aura sûrement perdu de la vitesse. Est-ce que ce sera le condamner à jouer les seconds rôles ? J’espère qu’il va retrouver l’intégralité de ses moyens. Je ne le vois pas bien jouer à l’Open d’Australie, car c’est trop tôt.

Je pense qu’on reverra Nadal à un niveau moyen-correct sur terre battue. Il commencera par un coup d’éclat et des défaites aussi cuisantes et ça va se régulariser petit à petit. On pourrait le voir arriver à Roland-Garros avec des victoires significatives et on se dira peut-être : « Et si ce n’était pas lui le favori de Roland-Garros ? » Il nous a tellement bluffés. Pour le tennis, c’est extraordinaire de voir Rafa. Je suis un de ses plus fervents admirateurs. De par son humilité, sa simplicité et sa rigueur, c’est un joueur qui est un modèle pour tous.

 

Djokovic a été dominant en 2023. Le Golden Slam a été évoqué. C’est possible ?

Gagner le Grand Chelem calendaire, je ne pense pas. Jannik Sinner s’en rapproche, Alcaraz aussi. C’est une question de temps. Le compte à rebours a commencé pour lui. Il se fera dépasser à un moment ou à un autre. Que ce soit Rune, Alcaraz ou Sinner, ils sont trop forts maintenant. Novak le sent. C’est le meilleur pilote avec la meilleure voiture, mais on sait que sa voiture est vieillissante. À un moment donné, elle aura des pannes, comme Nadal, Federer ou Agassi. Quand Novak va perdre 15% de vitesse à cause d’une hernie, une blessure au ménisque, un claquage, des joueurs auront pris sa place. Tant que son corps tient, il jouera les premiers rôles. La meute de loups approche.

 

Un pari ?

Je vois Sinner et Alcaraz jouer les premiers rôles. Alcaraz a tout dans son jeu pour devenir le numéro 1. Sinner a peut-être un potentiel inférieur à Alcaraz, mais il a une construction presque germanique, un peu comme Novak Djokovic d’ailleurs. Je pense que ces deux garçons vont venir chatouiller un peu plus souvent Novak.

 

Qu’est-ce qu’on peut vous souhaiter pour 2024 ?

De rester en bonne santé. En avançant dans l’âge, on a des douleurs le matin, c’est moins évident. Mais rester en bonne santé, vraiment. On voit des choses dans le monde, des conflits ou les maladies… Il faut revenir à l’essentiel. Avoir une bonne santé, être optimiste et garder la banane. Je pense qu’aujourd’hui trop de gens se prennent au sérieux et n’ont pas une bonne énergie autour d’eux. Il faut revenir à l’essentiel, vivre le moment présent avec le sourire et vivre sa journée comme si c’était la dernière.

Publié le par Alexandre HERCHEUX

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