Tennis. ATP - Djokovic, fils, raconté par Djokovic, père

 

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Srdjan Djokovic, 54 ans, a élevé l'un des plus grands joueurs de l'Histoire, 11 fois vainqueur d'un titre du Grand Chelem, Novak Djokovic. Ses relations avec la presse sont rares, mais il a accordé une interview au magazine Newsweek, au 'Novak Cafe and Restaurant', à Belgrade (Serbie), l'entreprise familiale créée au nom de son fils. Avec son plus jeune fils Djordje en interprète, Srdjan s'est exprimé sur de l'enfance de Novak dans les montagnes serbes, sur la façon dont son fils a appris à aimer le tennis, mais il révèle également les secrets de la célèbre force mentale du numéro un mondial ou encore comment Andy Murray et d'autres rivaux peuvent le rattraper. Un long entretien, retranscrit pour vous ci-dessous. 

 

Srdjan Djokovic, sur sa jeunesse

"Je suis né dans un petit village au Kosovo, près de Trepca [un complexe minier important dans le nord du Kosovo]. Entre les deux guerres mondiales, les Anglais sont arrivés, et ont construit des courts de tennis et des hôtels. Je ne l'ai pas eu l'occasion de beaucoup jouer au tennis. C'est ici que je finis l'école primaire et secondaire, puis nous avons déménagé à Belgrade, quand j'avais 19 ans. Nous avons vécu là-bas jusqu'à mes 25 ans et j'ai rencontré ma femme, Dijana. Un an après, Novak est né."

Sur les premières années de Novak

"C'était notre premier enfant. Il a été accueilli avec beaucoup d'amour. La différence entre nous et les pays occidentaux, quand nous avons un enfant, nous voulons être dans sa vie de 100% jusqu'à la fin. Voilà pourquoi en Serbie et dans les Balkans, nous sommes si connectés avec nos enfants. C'est certain, il y a un amour inconditionnel spécial que nous éprouvons les uns envers les autres.Tout au long de l'enfance de Novak, il a été très très aimé. Quatre ans après, Marko est arrivé, puis quatre ans après encore, Djordje. Lorsque Novak avait 2 ans et demi, nous avons déménagé à la montagne, à Kopaonik. Nous avons ouvert un restaurant [appelé Red Bull], et une entreprise de matériel de sport. Voilà où tous les enfants ont grandi et appris à vivre."

Comment Novak a commencé le tennis

"Il était âgé de 3 ans. Nous avions des courts de tennis juste en face de notre restaurant [à Kopaonik]. Lorsque les courts ont été construits, Novak traînait avec les travailleurs, en leur apportant de la nourriture et des boissons. Je voyais l'amour dans ses yeux quand il a regardé les courts de tennis, alors je lui ai acheté une petite raquette colorée avec une balle en mousse. C'est immédiatement devenu son jouet préféré. Lorsque Novak avait 4 ans, il est allé à un stage de tennis à Novi Sad [une ville dans le nord de la Serbie, à environ 70 kilomètres de Belgrade]. Ils comprenaient Novak, c'est l'endroit où il a commencé à jouer. Le reste est l'histoire. Il frappait les mêmes revers à 4 ans que ceux qu'il frappe aujourd'hui. Il est né pour ce sport. Mon plus grand souhait était que les frères soient skieurs professionnels, mais les choses se sont révélées sans doute mieux ainsi."

Sur l'éducation des enfants au milieu de guerre

"Nous avons vécu pendant 17 ans en montagne, à l'extérieur des conflits, et cela signifiait beaucoup pour un développement sain des garçons. Nous avons passé huit mois par an en montagne, et nous étions beaucoup plus rassurés parce que nous ne pouvions pas entendre ou voir ce qui se passait dans les grandes villes."

 

"J'ai toujours tout fait à 100 % pour Novak"

 

Sur le tempérament de Novak

"Je vais dire quelque chose que je n'ai jamais dit à la presse avant. Novak a toujours été un enfant spécial, très différent du reste de sa génération. Il était très sensible, prudent, un travailleur acharné et avait une bonne discipline depuis qu'il était un petit enfant. Quand il avait 4 ans, mon frère, qui était propriétaire d'une boutique, lui a donné une veste comme cadeau. Novak ne voulait pas le prendre. Mon frère lui a demandé : "Pourquoi ne veux-tu pas le prendre ?" Il lui a dit : "Si je la prends, vous ne pourrez pas la vendre." Il était toujours si sensible."

Sur le plan de carrière de Novak

"Quand il avais 6 ans, il a commencé sa formation, tous les aspects de sa carrière ont été pris en charge. Qu'est-ce qu'il doit faire aujourd'hui, demain, dans un mois et un an. Qu'est-ce qu'il doit manger, doit boire, aujourd'hui, demain, etc. Chaque aspect et chaque petite chose dans sa vie ont été contrôlées. Pourquoi ? Beaucoup d'enfants talentueux ne réussissent pas, dans le monde entier, parce que les parents sont très réalistes en ce qui concerne leur carrière, la vie et les rêves. Ils décident que leur enfant est un grand talent, puis mettent tellement de pression sur l'enfant, qui ne peut pas gérer."

Le développement de Novak par lui-même, un héritage paternel

"Il n'y avait pas de bonne volonté pour quiconque de nous aider, même si Novak allait devenir un grand joueur. Je devais tout faire par moi-même. Nous étions toujours ensemble. Partout où nous sommes allés, tout le monde avait une équipe-physios et des entraîneurs. Tout le monde a été pris en charge, sauf nous. J'étais mère, père, entraîneur, physio, tout pour Novak ! Je n'ai eu personne pour me l'enseigner, la clé a été que je n'avais pas le droit à l'erreur. Je devais prendre des décisions difficiles pendant la nuit, à changer et à embaucher des entraîneurs, changer les académies. Dès que je voyais qu'une petite chose n'allait pas comme prévu, je voulais aller ailleurs. Seul Novak comptait. Tout a été fait pour lui afin de réaliser ce qu'il a accompli aujourd'hui. Malheureusement pour toute la famille, Marko et Djordje ne disposaient pas de 100% de mon enthousiasme, de la même volonté et la même force que je donnais à Novak. Je suis triste à cause de cela, parce que Marko et Djordje auraient pu réaliser quelque chose de grand. Le problème est Novak a pris toute mon énergie."

Quand il a dû couper le cordon avec Novak

"C'était très difficile. Il a quitté la maison quand il avait 12 ans, presque 13, à l'Académie de tennis de Niki Pilic près de Munich. A cette époque, nous ne disposions pas de l'argent pour partir avec lui, à Oberschleissheim, à environ 30 kilomètres de Munich. Un endroit où l'on mange tennis, on boit tennis, on dort tennis, on pense tennis ... tout est tennis. Ce fut une expérience incroyable pour Novak. En bon travailleur acharné, c'était parfait pour lui. Niki Pilic était très heureux avec Novak. Il n'a jamais normalement pris les enfants de moins de 14 ans, mais il ne voulait pas laisser passer Novak."

 

"Il [Novak] peut gagner 10 autres titres du Grand Chelem"

 

Sur l'attention de Novak aux détails

"Un jour, Novak a passé 20 minutes après l'entraînement à courir. Niki Pilic lui a demandé "Que fais-tu ?" Il lui a répondu : "Je vais m'échauffer. Il me faut au moins 20 minutes pour récupérer." Il avait l'habitude de dire : "Chaque fois que je m'étire après avoir joué, je prolonge ma carrière de tennis d'un jour supplémentaire". C'était le plus important de garder son corps en bonne santé. Voilà pourquoi Novak ne se blesse presque jamais. Il n'a jamais rien laissé au hasard."

Sur la relation de Novak avec Andy Murray

Ils ont joué tous les tournois ensemble comme juniors. Ils n'ont jamais eu de conflit. Il y avait toujours du respect entre eux. Novak a toujours été le meilleur, mais Murray a toujours été juste derrière lui. Comme maintenant. Je tiens à féliciter la famille Murray pour la naissance à leur fille [Sophia Olivia, née le 7 Février]. C'est étonnant ce que Novak et Murray ont fait avec leurs enfants et leur carrière. Je suis très heureux que tout ait bien tourné.

Sur l'avenir et la religion de Novak

"Je crois qu'il sera le meilleur joueur de tennis de l'Histoire. Je l'ai dit depuis qu'il est entré dans le circuit. Assurément, il sera l'un des meilleurs sportifs jamais vus. Tout cela, c'est parce qu'il a été envoyé par Dieu. En tant que famille, nous avons essayé de faire en sorte que la volonté de Dieu se réalise. Il peut gagner 10 autres titres du Grand Chelem."

Sur Federer, Nadal, Murray et les amitiés dans le tennis

"Tout le monde a le droit à sa propre opinion. Ceci est seulement mon avis. Lorsque la Serbie a joué la Suisse à Genève [en 2006], Novak avait 19 ans à l'époque. Il avait un problème et ne pouvait pas bien respirer. Il avait du mal à rester en course dans les longs points. Et Federer a essayé par tous les moyens de lui manquer de respect à cause de son problème de respiration. Il se montra tel le meilleur joueur du monde, mais pas comme une bonne personne à ce moment-là. Personne n'a jamais traité Novak comme ça. Je ne comprends pas pourquoi Federer continue de jouer au tennis. Il a déjà 34 ans. Avec Murray, ils ont grandi ensemble, ils sont amis. À l'heure actuelle, ils ne peuvent pas être de bons amis en dehors du tennis, parce qu'ils sont rivaux, mais une fois qu'ils auront terminé leur carrière, ils vont être de meilleurs amis qu'ils ne le sont aujourd'hui. Mais Novak a des amis au sein des grands joueurs en ce moment : Gasquet, Monfils, Tsonga, Del Potro, Raonic, Ferrer, tous ces athlètes incroyables. Novak a une bonne relation avec chacun d'entre eux. Tout le monde devrait être amis, se respecter les uns les autres. Rafael Nadal a été une légende à une époque, mais son jeu est très différent de Novak et Federer. Il dépense beaucoup d'énergie sur le court. Avec ce genre de style, il est très difficile de maintenir un haut niveau. Mais le tennis a encore besoin de Nadal, il a besoin qu'il revienne. J'espère qu'il pourra jouer encore deux ou trois ans à un niveau élevé."

 

"Novak est un Dieu vivant en Serbie"

 

Sur ce que Boris Becker a apporté au staff technique de Novak

"Il lui a donné de la force. Becker était un joueur différent de Novak dans sa carrière, mais tout ce que Novak traverse maintenant, Becker l'a déjà vécu. Il conseille Novak à propos de ses erreurs dans son développement en tant que joueur de tennis et champion, et tente d'emêcher Novak de faire les mêmes erreurs. Pendant longtemps, Novak ne savait pas comment réduire sa puissance dans les matches pour conserver l'énergie. Maintenant, il a appris. Il a assez d'énergie pour gagner le match, et pour le reste du tournoi."

Sur la façon dont Murray peut rattraper Novak

"Je ne sais pas si je dois vous dire ce que je pense, parce que je connais Murray depuis qu'il était un très jeune enfant. Murray est un grand, grand talent. Un des plus gros jamais vu, et une grande partie de celui-ci n'est pas utilisé, parce que son état d'esprit n'est pas calme. Il est frustré très facilement. Quand il gagne, il a une confiance en plein essor, mais une fois qu'il commence à perdre, son esprit se retourne et il a l'air perdu. Il commence à parler à son équipe, et cela distrait son esprit. S'il apprend à se calmer, il aura une carrière beaucoup plus grande qu'il a maintenant. Je voudrais bien que Murray maximise son potentiel. Lorsque Federer et Nadal ont été les deux meilleurs joueurs du monde, ils ont gagné beaucoup plus que Novak, qui devait tout donner et tout essayer, en changeant son coup droit, son service, parce qu'il avait l'objectif de les battre. Maintenant, Murray doit faire la même chose. Il a besoin de se mettre dans la même position, de dire : "OK, Novak, tu es mieux dans tel ou tel domaine, je dois faire mieux dans ce domaine et cela dans le but d'y arriver." C'est la seule façon d'y arriver." 

Sur le fait que Novak soit devenu une icône serbe

"C'est le symbole de la Serbie et un Dieu vivant de la nouvelle Serbie, mais cela me rend un peu triste. Novak est le seul point lumineux au bout du tunnel pour la Serbie en ce moment. Je suis très inquiet pour le pays et le peuple et ce qui va se passer après que Novak termine sa carrière. Les habitants de la Serbie voient Novak comme leur idole dans sa façon de réussir. Il est l'exemple vivant de la façon de réaliser l'impossible avec votre famille autour de vous. Mais il n'y a rien pour la Serbie, sauf lui."

Sur la force mentale de Novak

"En 2011, quand il a battu Federer à l'US Open [en demi-finale], devant 24 000 personnes, 23 000 ont acclamé Federer. [Novak] a gagné le match, a pris le micro et a dit : "Vous êtes le meilleur public au monde." Voici la démonstration de sa force comme mentale. Quand ils criaient "Roger, come on Roger", tout ce qu'il pensait est qu'ils criaient "Novak, come on Novak". Quand il terminera sa carrière de tennis, il sera encore plus respecté pour ce qu'il aura réalisé."