Tennis. ATP - Ouahab : "J'ai sacrifié ma famille pour le tennis"
Par Karl BOULLAND le 29/07/2015 à 16:32
Il y a près de treize ans, un jeune Algérien de 17 ans, Lamine Ouahab battait un certain Rafael Nadal en demi-finale du tournoi junior de Wimbledon. Quelques années auparavant, c'est Robin Soderling et Richard Gasquet qu'il s'offrait lors de son parcours vers les demi-finales de Roland-Garros juniors. Finaliste à plusieurs reprises dans des événements relevés, il atteignait son meilleur classement en juniors avec une quatrième place mondiale. Mais comme beaucoup d' adolescents dans le tennis, Ouahab a été incapable de reproduire de telles performances sur le circuit ATP. Son meilleur classement date de 2009 avec une 114e place mondiale. Mais l'Algérien a surtout habitué son public à des disparitions bizarres du circuit, parfois pendants des mois.
Après avoir remporté un titre dans un Futures en Croatie en mars l'année dernière, il a annoncé qu'il changeait de nationalité et qu'il représenterait dorénavant le Maroc, après avoir acquis le passeport de sa femme marocaine. Suite à une fin de saison 2014 qu'il termine à la 587e place mondiale, Ouhab a débuté 2015 sur les chapeaux de roue. Titré au Challenger de Casablanca, il a remporté 17 matches consécutifs entre mars et avril. Sur le circuit ATP il a réalisé un beau parcours à nouveau à Casablanca en atteignant les quarts de finale et en s'offrant au passage la tête de série n°1 du tournoi, Guillermo Garcia-Lopez.
"Des problèmes en dehors du court nous affectent sur le court"
Cette série lui a permis de grimper à la 232e place mondiale, ce qui lui a valu une place dans le tableau des qualifications de Roland-Garros. Mais au lieu de capitaliser sur sa bonne forme, Ouahab a joué un seul match (un tour de qualification à un Challenger en Italie) lors des six semaines qui ont précédées les Internationaux de France. Résultat ? Une défaite dès le premier tour à la Porte d'Auteuil dans un match accroché contre Alejandro Falla.
Des disparitions qui posent problème mais qui ne sont pas volontaires : "Malheureusement, quand vous êtes un joueur arabe, vous avez beaucoup de choses à gérer par vous-même. Cette fois, j'ai dû attendre un visa pour ma femme pendant plus de trois semaines, donc je ne pouvais pas évoluer souvent avant Roland-Garros. Parfois, c'est difficile de voyager et de payer les frais, ou obtenir les papiers à temps. Lorsque je disparais, ce n'est pas volontaire. Ce n'est pas juste, ça ne devrait pas être comme ça, mais il n'y a pas grand-chose que je puisse faire à ce sujet. Je suis sûr que si j'avais joué quelques tournois avant Roland-Garros, j'aurais pu faire beaucoup mieux. Pour les joueurs arabes, des problèmes en dehors du court nous affectent sur le court. L'année dernière, je ne pouvais pas obtenir un visa pour le Royaume-Uni à temps pour Wimbledon, donc je ne pouvais pas y aller. Parfois, je le reçois la veille ou le jour même."
"Je veux juste jouer des tournois toute l'année"
Le journaliste espagnol José Izquierdo, de la station de radio Cadena SER, a regardé Ouahab battre Garcia Lopez, et n'est pas avare de compliment : "Regarder Lamine jouer sur terre battue est un vrai régal. C'est un pur talent. Un de ces joyaux cachés du circuit ATP ".
Mais Ouahab sait que le talent seul ne suffit pas et doit également faire face à des problèmes économiques. Pour preuve, il bénéficie toujours d'un appartement à Barcelone mais vit au Maroc, car le coût de la vie y est moins cher.
"Je n'ai plus d'entraîneur depuis cinq ans parce que je suis en dehors du Top 150, je ne gagne plus autant qu'avant. Je n'ai pas de préparateur physique, je n'ai pas de gestionnaire, je fais tout moi-même et je peux encore rivaliser avec les gars qui sont n°20 dans le monde. Je n'ai pas de sponsors. Ce ne sont pas des excuses, c'est juste la réalité et je pense que 80% des joueurs du circuit ne vivent pas cela. Tant que ça restera comme ça, ça va être difficile de voir des champions arabes dans le tennis. Je veux juste jouer des tournois toute l'année. Les gens ne s'aperçoivent pas comment le sport est difficile." C'est le manque de soutien de la fédération de tennis algérienne qui a poussé Ouahab à opter pour le Maroc, un pays qui a produit trois joueurs dans le Top 25, Hicham Arazi, Younes El Aynaoui et Karim Alami.
"J'ai eu l'occasion de jouer pour la France"
Malgré son amour pour son pays d'origine, Lamine Ouahab ne pouvait plus rester en Algérie : "Bien sûr que je suis Algérien, mes deux parents sont Algériens et pratiquement toute ma famille est de l'Algérie, mais à un certain moment vous devez prendre des décisions. Les gens ne se sont pas aperçus combien je sacrifiais tout pour ma carrière. J'ai sacrifié ma famille, mon temps, beaucoup de choses. J'étais un très jeune joueur avec des grandes possibilités. A 16 ans je fais une demi-finale à Roland-Garros juniors, j'étais n°4 mondial. Je bats Nadal, Berdych, Gasquet. J'ai eu l'occasion de jouer pour la France, mais j'ai préféré continuer à jouer pour mon pays, mais malheureusement, la fédération, le ministère, les sponsors ... personne ne s'en est soucié."
Ouahab, qui a désormais 30 ans et qui vient de devenir père, ne pense pas à la retraite et veut même accélérer la cadence : Je vais essayer de jouer plus de tournois. J'ai fait des bons résultats au début de l'année mais je dois revenir dans le Top 200 ou Top 150 pour commencer à gagner plus d'argent et peut-être obtenir un entraîneur. Je vais prendre étape par étape et continuer à essayer. Je ne pense pas à la retraite du tout en ce moment. Je suis passé par beaucoup de choses et pour moi ça ne fait rien si je suis classé 5000e ou Top 20. Je vais continuer à jouer aussi longtemps que j'apprécie ce sport."