Tennis. Coupe Davis - Guy Forget : "Se passer de Noah, c'est idiot"
Par Tennis Actu le 22/11/2017 à 15:54
Dernier capitaine de l'équipe de France à avoir soulevé le Saladier d'argent, Guy Forget est également le seul Français de l'ère Open à avoir remporté la Coupe Davis à trois reprises : en tant que joueur, en 1991 et 1996, et sur la chaise de capitaine, en 2001 en Australie. Désormais directeur des tournois de Roland-Garros et Paris-Bercy (Rolex Paris Masters), l'ami intime de Yannick Noah, actuel patron de l'équipe de France qui doit défier la Belgique en finale de l'édition 2017, a accordé un entretien intéressant au quotidien Ouest-France. Entre souvenirs et anecdotes, regrets sur l’investissement de ses troupes et parfois justifications, notamment sur l’épisode de Belgrade en 2010 quand il avait préféré Michael Llodra à Gilles Simon pour le 5e match décisif, Guy Forget balaie la fonction de capitaine jusqu’au moindre recoin. Morceaux choisis ci-dessous.
Vidéo - Rolex Paris Masters 2017 - Le bilan 2017 par Guy Forget
En quoi un capitaine peut-il guider ses joueurs ?
Guy Forget : "Parfois, j’ai eu l’impression de faire des bons speechs, j’étais persuadé que les gars l’avaient saisi et ça ne s’est pas traduit par un succès sur le terrain. C’est pour ça que je minimise mon rôle. Ceci dit, je me souviens de mon premier briefing quand on a le mis le pied à Melbourne, en 2001. Je dis aux joueurs (ndlr : Grosjean, Escudé, Pioline, Santoro ; Clément remplaçant)... Ils me regardent avec des yeux gros comme ça. Je voulais les piquer un peu. Je marque un silence et je prends le contre-pied : « Mais, les gars, 15-20%, c’est fabuleux. Ces chances-là, on n’a pas le droit de les rater. » Et c’était parti. Le ciment a pris. Le rôle du capitaine est d’agiter une sorte de lame de fond qui œuvre tous les jours pour que la confiance gagne le groupe et crée une dynamique."
En termes de coaching, le rôle de Noah est-il le même que le vôtre à l’époque ?
"Il doit l’être. Si un joueur n’est pas assez intelligent pour exploiter l’expertise, l’expérience, la lucidité, le recul du capitaine, donc de Yannick, c’est du gâchis. Il est seul toute l’année. En Coupe Davis, il dispose d’un mec qui te calme, te motive, te rassure. Te priver de ça, si c’est le cas, c’est idiot. Yannick a tellement à donner…"
« Il est probable que le prochain capitaine de Coupe Davis
n’aura pas le même charisme que Noah »
Certains sont-ils hermétiques au coaching d’un capitaine parce qu’ils sont conditionnés à l’année par leur entraîneur ?
"Au début, j’avais beaucoup de mal avec Cédric (Pioline). Ce n’était pas contre moi. Simplement, il avait des convictions. En gros, il se disait : « J’y arrive mieux tout seul ». Il était très peu ouvert à un soutien extérieur. A la fin de sa carrière, il y avait un échange génial entre nous. C’était du gagnant-gagnant. Gaël Monfils, j’ai failli l’égorger plusieurs fois pendant les stages (rires), mais une fois sur le terrain, quel bonheur. Il partage beaucoup son ressenti. Arnaud Clément pouvait aussi être têtu comme une mule. Mais dès qu’il se mettait en mode guerrier, quel plaisir. Ce n’est pas toujours tout rose sur la chaise. Le joueur peut être dans le dur, le capitaine aussi."
Elle vous manque cette adrénaline ?
"Oui même si j’ai aussi vécu beaucoup de moments durs et que j’ai failli arrêter plusieurs fois en 14 ans. Ce n’était pas lié aux résultats. Plutôt à l’impression que les gars n’étaient pas assez impliqués. Sur certaines années, clairement, on ne méritait pas de gagner la Coupe Davis. Avec plus d’investissement, on aurait dû la gagner au moins une fois de plus, voire deux. Quand je repense au rêve absolu qu’on avait avec Henri Leconte en 1991 avant la finale de Lyon, rien ne pouvait nous en détourner."
Le catalyseur avait été Yannick Noah ?
"C’était notre modèle, notre idole. On était tellement heureux qu’il soit là, qu’il nous donne du temps. Il nous aurait demandé de faire un jogging à 4h du matin, on l’aurait fait. Si Roger Federer prend l’équipe suisse demain, les jeunes qu’il aura sous la main seront comme des fous. On a vécu la même chose avec Yannick. Il est probable que le prochain capitaine de Coupe Davis n’aura pas le même charisme que lui."
« Si j’avais fait jouer Simon et qu’il avait perdu,
je me serais senti le roi des cons ! »
En Serbie en 2010, vous lui aviez préféré Michaël Llodra pour disputer le 5e match décisif contre Viktor Troïcki. Match qu’il a perdu. L’affect avait joué ?
"Non. Une finale, c’est tellement gros. J’aurais mis le médecin si j’avais pensé qu’il avait des chances de gagner ! J’étais convaincu que Mika allait gagner. (Il marque un long silence, pèse ses mots). Tu ne peux pas gagner un grand match de tennis en étant timide. Point barre. Se dire juste : « L’autre va rater et me donner le match », ça n’existe pas dans des moments comme ça."
Votre décision était prise dès Bercy, où Llodra avait été demi-finaliste après avoir battu John Isner (19e), Novak Djokovic (3e) et Nikolay Davydenko (11e) ?
"Bercy avait compté mais comme ses succès dans la campagne sur Fernando Verdasco (10e) et Juan Monaco (33e). Il était dans une trajectoire super ascendante. Quand tu fais une sélection, tu prends en compte tous les paramètres : le passé en Coupe Davis, la forme du moment, l’état d’esprit, l’état physique, la saison. Tu secoues tout ça et un nom te sort. Et celui de Mika est sorti à chaque fois que je secouais. Si j’avais fait jouer Gilles (ndlr : alors aucun set perdu contre Troïcki en quatre duels) et qu’il avait perdu, je pleurerais encore aujourd’hui car je n’aurais pas écouté mes convictions profondes. Je me serais senti le roi des cons !"
La décision était donc…
"(Il coupe) Je vais vous raconter. Le samedi soir, je suis allé voir Gilles dans sa chambre pour savoir comme il se sentait. S’il m’avait répondu comme Escudé en 2001, avec la même hargne, la même envie, en me disant « Je te jure, je vais le crever », il aurait joué. Au lieu de ça, il m’a dit : « Oui, ce n’est pas évident, je viens de paumer, j’ai un peu mal à mon genou. » Je n’ai pas ressenti la moindre énergie positive. Cinq minutes après, je suis allé taper à la porte de Mika. Il était prêt. Pour moi, c’était clair et réglé."
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