Tennis. Interview - Frédéric Fontang : "On ne peut pas être coach si on a peur !"
Félix Auger-Aliassime a souffert mais aussi beaucoup appris cette saison. Bien lancé en début d'année, le Canadien, 6e mondial en janvier, a été freiné dans son élan par une blessure au genou en février. Un défi pour un jeune joueur qui n'avait jamais été confronté à la blessure auparavant. Gêné pendant de longs mois, "FAA" a traîné sa peine sur le court jusqu'en octobre dernier où, libéré physiquement, il a pu vaincre son premier Top 10 de l'année, Holger Rune, et s'adjuger le titre à Bâle.
Vidéo - Frédéric Fontang, le bilan 2023 de Félix Auger-Aliassime
Pour son entraîneur, Frédéric Fontang, cette année 2023 aux côtés de son protégé a également été un challenge. Coach du Canadien depuis décembre 2016, l'ancien 59e mondial reste, comme à son habitude, serein et très ambitieux pour "FAA". Dans un entretien avec Tennis Actu, l'ancien coach de Caroline Garcia et Vasek Pospisil a dressé le bilan de la saison de Félix, désormais 29e mondial, et a évoqué les objectifs pour 2024, notamment les Jeux Olympiques de Paris.
"Félix a été embêté au genou pendant pas mal de mois"
Frédéric, comment va le coach de Félix Auger-Aliassime après une saison 2023 compliquée et, on l’imagine, éprouvante ?
Ça n’a pas été la même que 2022 pour plusieurs raisons. Félix a été embêté au genou pendant pas mal de mois. On retient une note positive en fin d’année avec une victoire au tournoi de Bâle. C’était important de bien finir l’année.
23 victoires et 19 défaites cette année, avec un énorme trou d’air fin mars et mi-octobre. Seulement trois victoires sur cette période. Comment expliquez-vous les difficultés de Félix sur cette séquence. Ce sont les problèmes physiques, notamment à l’épaule droite et au genou aussi comme vous l’avez dit ?
Oui oui… La blessure au genou est apparue à Dubaï en février. Il a pu gérer à Indian Wells mais ensuite il avait trop de douleurs. Il n’a pas joué pendant six semaines mais la cicatrisation n’a pas été complète. On est resté dans un no man’s land trop longtemps. Jouer, pas jouer, perdre, s’entraîner… ça a duré jusqu’à l’été. C’est une blessure compliquée à gérer médicalement. Le joueur a moins de repères lorsqu’il gagne moins et joue peu. C’est une spirale difficile à arrêter.
Pourquoi avoir continué à jouer ?
Le repos ne règle pas toujours le problème avec cette blessure. Il faut continuer pour que la cicatrisation se fasse. Félix est bien entouré médicalement mais ce n’est pas toujours une science exacte. On a navigué dans ces eaux troubles. Ce qui est compliqué, c’est que Félix devait apprendre à jouer sans être à 100%. Il a réussi à être plus fort en fin d’année.
Est-ce que Félix a payé ses 87 matchs de 2022 ?
C’est difficile de savoir exactement les causes et conséquences. Félix est jeune, les saisons sont longues… C’est la responsabilité de Félix et de son staff de gérer au mieux le calendrier. Le problème se pose aussi à l’inverse. Sauf Federer, Nadal ou Djokovic, c’est difficile de jouer seulement les gros tournois et quelques-uns de préparation. Pour un joueur comme Félix, c’est difficile, il faut des victoires et enchaîner des matchs.
Félix Auger-Aliassime, titré à Bâle
"2022 très bonne saison, 2023 moins bonne saison. Félix n’a fait que progresser, c’est la première année où il fait moins bien au classement"
Vous arrivez tout de même à dresser un bilan de la saison de Félix malgré ce contexte ?
C’est nécessaire dans la tempête comme en période de beau temps. Il faut faire un bilan, apprendre de toutes les expériences. On a beaucoup de stats, des éléments intéressants pour analyser. Chacun peut prendre sa responsabilité. 2022 très bonne saison, 2023 moins bonne saison. Félix n’a fait que progresser, c’est la première année où il fait moins bien au classement. L’important, c’est de prendre ses responsabilités et d’avoir des directions claires. Parfois, on est obligé d’accepter que des choses ne soient pas sous notre contrôle.
Lorsqu’on est coach d’un joueur dans cette situation, est-ce qu’on doute aussi ?
Le mot doute n’est pas approprié. Les coachs sont toujours en perpétuelle recherche d’améliorations. La base de la compétition : il faut être fort et donc être stimulé pour progresser. Que ce soit tennis ou mental.
Il y a eu cette petite brouille avec Gaël Monfils en Laver Cup. Ça ne ressemblait pas à Félix. Ça traduisait un mal-être sur cette période ?
Félix est un athlète fort mentalement. Cette année, il a vécu une expérience nouvelle avec cette blessure. Il a gagné moins de matchs et donc moins de confiance. La Laver Cup, il n’y a pas de points ATP mais on la joue pour gagner, même si l’ambiance est différente. Félix est rentré pour gagner. Il y avait peut-être un décalage avec Gaël mais c’est son droit. Ils se sont expliqués de façon saine ensuite. Pour Félix, une victoire était une victoire avec la situation qu’il connaissait.
Lorsqu’il y a des accrochages, vous revenez sur la situation ? Ou vous balayez la séquence ?
Je n’étais pas avec lui en Laver Cup car l’entraîneur a très peu de place. Sinon, on en discute mais ça fait partie du jeu. Dans ce cas, il n’y avait rien d’important. En tant qu’entraîneur, on est aussi éducateur.
Félix Auger-Aliassime sur Gaël Monfils en Laver Cup : "Quelqu'un que j'apprécie toujours"
"Je ne fais pas les choses en ayant peur de perdre mon rôle de coach"
Quelle a été la clé pour que Félix rebondisse en fin d’année avec un titre à Bâle et deux bons matchs à Bercy ?
C’est un ensemble d’éléments. Avec le temps, la cicatrisation allait dans le bon sens. Son expérience de gestion de la douleur, de gagner avec les éléments du moment, c’est ce qui fait aussi la différence. Djokovic était malade en demies à Wimbledon. Aussi en Australie avec sa blessure aux adducteurs. Félix a progressé dans cette gestion. Autour de lui, tout le monde en a tiré des leçons.
Toni Nadal a-t-il encore un rôle ?
Tout à fait. Il était moins présent. Il est avec nous sur les gros tournois et sera encore là en 2024. Il nous apporte des choses positives. Une carrière de joueur est longue. Il y a cette perspective. La carrière s’arrête plutôt après 35 ans. Il faut garder cette perspective sur la durée. L’objectif, c’est de faire des fondations solides et des ajustements ensuite. Dans le sport, quand un joueur ne gagne pas, on entend « peut-être qu’il devrait changer d’entraîneur ou de staff ». Le tennis n’échappe pas à la règle. Il y a des joueurs ou des organisations où on est focus sur une stabilité. Il y a une plus-value au bout d’un certain temps qui est réelle. Elle peut faire la différence plutôt que de changer et ou de faire d’un entraîneur un fusible. Malgré tout, on est dans un business de résultats et l’indicateur reste la victoire.
Vous avez un lien fort avec Félix, j’imagine que vous ne vous sentez pas en danger ?
On ne peut pas faire ce métier si on a peur. Il y a toujours l’envie de gagner qui affronte la peur de perdre. De façon personnelle, je suis plus dans l’envie de gagner et de bien faire. Je ne fais pas les choses en ayant peur de perdre mon rôle de coach.
"Félix est attaché à son pays et les JO 2024 sont très importants. On le préparera comme un tournoi majeur"
Félix a commencé 6e et terminé 29e l’année. Quels seront les objectifs en 2024 ?
Les objectifs restent les mêmes. En termes de résultats, Félix a une demie de Grand Chelem, quarts à Wimbledon et Melbourne et huitième à Roland-Garros. Il a deux demies de Masters 1000. Aussi 5 titres avec un ratio de finales gagnées qui commencent à être positif. L’objectif, c’est de faire mieux que ce qui a été dit maintenant. En termes de classement, il en faut un à minima à son niveau. Il a les capacités de battre les grands joueurs et donc d’avoir sa place dans le Top 10 et d’être au Masters. Ce tournoi, c’est quand même l’état des lieux de la saison.
L’an passé, lors du bilan 2022, vous aviez confié à Tennis Actu qu’il « lui restait à cocher un titre en Masters 1000, en Grand Chelem et numéro 1 ». Ça ne change pas ?
Exactement, c’est la direction. Félix n’a pas seulement le potentiel pour le faire mais l’envie. Pour être numéro 1, il faut remporter 54% des points dans une saison. Quand il était 6e, il était à 52,5. Il y a 1,5% à aller chercher. Ce qui est intéressant, c’est de trouver sur quoi agir pour trouver ces 1,5%.
Année 2024, année olympique. Les JO seront très importants pour Félix ?
Oui tout à fait ! Comme pour la Coupe Davis. Félix est attaché à son pays et les JO sont très importants. On le préparera comme un tournoi majeur.
Pour vous ce sera particulier, comment ça se passera en termes de gestion ?
Les entraîneurs peuvent coacher aux JO. Le Canada le permet. On va le préparer normalement et comme un tournoi majeur.
Que peut-on souhaiter à Félix ?
Être en bonne santé pour penser uniquement à l’aspect du jeu. La santé, c’est le premier pilier.
Un Grand Chelem ou l’or olympique ?
Personnellement, je préfère un Grand Chelem en tant qu’entraîneur. Il faut demander à Félix directement. (sourire)
On va le souhaiter les deux !
Voilà ! (rires)