Tennis. ITF - Damien Ressiot : "L'ITF et le mépris de l'antidopage"
Par Clémence LACOUR le 18/06/2017 à 17:01
C'est une déclaration de Damien Ressiot, le directeur du département des contrôles de l'Agence française de lutte contre le dopage (AFLD), mardi dernier lors de la présentation du rapport d'activité 2016 de l'AFLD, qui a lancé le débat, dans des propos rapportés par La Croix. Selon lui, la Fédération internationale de tennis (ITF) a "un profond mépris pour les agences nationales antidopage".
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Des difficultés particulières avec l'ITF ?
Le président de l'Agence Française Anti-dopage (AFLD), Bruno Genevois, a nuancé ces propos mais confirmé des difficultés : "Ne le prenez pas tel quel sinon vous allez me brouiller avec le monde du sport. Elle (l'ITF, ndlr) est moins encline à la coopération." La cause de la brouille entre l'AFLD et l'ITF a pour nom Roland-Garros. En effet, normalement, rappelle La Croix, les agences nationales de l'anti-dopage reçoivent des fédérations internationales le droit de réaliser des contrôles sur leur sol. Mais, durant la quinzaine parisienne, il n'en a rien été : "On essaye depuis plusieurs années d'avoir des accords avec la Fédération internationale (de tennis), ça ne répond pas à nos souhaits", se désole Bruno Genevois, "C'est le statu quo. L'AMA (Agence mondiale antidopage, ndlr) trouve qu'il y a là une anomalie mais on n'a pas remédié à cette anomalie. On a une certaine liberté en dehors du site de compétition mais il faut, pour obtenir les autorisations, établir une relative carence de l'organisme chargé du contrôle. Suite à nos courriers, l'ITF nous a fourni quelques indications (sur les localisations d'athlètes, ndlr), mais elles n'étaient pas très précises". "Ce n'étaient pas des réponses", reprend Damien Ressiot.
L'ITF traîne-t-elle la patte ?
L'ITF a-t-elle un souci avec le contrôle anti-dopage en lui-même ? A priori, non, puisque pour 2017, l'ITF a annoncé vouloir renforcer son contrôle, avec une multiplication des contrôles : le nombre de tests pratiqués en compétition et hors-compétition devait ainsi passer de 4 899 en 2016 à 8 000 en 2017. L'AFLD, en tout cas ne remet pas en cause la volonté de l'ITF de lutter contre le dopage. Celle-ci organise ses propres contrôles et suspend les athlètes incriminés... généralement peu connus, à l'exception de Maria Sharapova. Dernier en date ? Schwanke de Andrade, qui a écopé de plus de trois ans de suspension. Les peines infligées aux athlètes par l'ITF sont souvent lourdes : Maria Sharapova, pour éviter de voir sa carrière prendre fin, avait fait appel au Tribunal Arbitral du Sport (TAS). Et pourtant, l'ITF reste souvent soupçonnée de protéger ses athlètes, ce que contestait Roger Federer en janvier 2017 : "Si quelqu'un est testé positif, il doit être puni immédiatement et que tout se termine là pour lui. Le sport ne dépend pas d'une star, aucun athlète n'est protégé. En outre, le tennis reste et restera un jeu, quelque chose d'intuitif. Vous pouvez jouer sans dopage." Alors, pourquoi ce refus de collaborrer avec les agences nationales de lutte contre le dopage, si aucun loup n'est à soulever ? Pourquoi ce "mépris" ? Certes, l'ITF peut voir d'un mauvais oeil une autre instance fourrer le nez dans ses affaires...
L'anti-dopage a-t-il assez de poids en France ?
Mais pourquoi l'AFLD n'arrive-t-elle pas à imposer ses conditions à l'ITF ? La question est complexe, bien sûr et nous ne prétendrons certainement pas y répondre, mais poser des pistes de réflexion soulevées par ailleurs en ce début juin par Libération qui rapporte qu'en France, on peut noter un déclin de l'exigence politique à avoir un sport propre. Les mots sont moins forts, les prises de position, peut-être un peu moins fermes... Et les budgets alloués à la lutte diminuent : en 2016, le budget alloué à l'AFLD, qui lutte sur le sol français contre le dopage chez les professionnels et chez les amateurs, par des contrôles, mais aussi par la prévention, s'élevait à 8,5 millions d'euros prévus par le projet de loi de finances, mais 7,8 millions d'euros effectivement versés (Le Parisien, 14 novembre 2016). En comparaison, l'ITF a un budget de 4.5 millions de dollars. Libération a ouvert ses colonnes ce 12 juin à Marie-Georges Buffet, qui, Ministre des sporte entre 1997 et 2002, avait dû gérer l'affaire Festina, et elle note un changement dans la parole politique : "La parole politique est essentielle. Si un ministre des Sports ne prend plus la parole pour dénoncer et prévenir, parler aux amateurs et aux professionnels, alors l’opinion publique n’est plus saisie de cette question. Lors du Tour de France 1998, si l’opinion publique a tenu, malgré l’amour du Tour et les images de coureurs mettant pied à terre, c’est parce qu’il y a eu cette parole publique forte. Aujourd’hui, on ne l’entend plus. En outre, les budgets de l’Agence française de lutte contre le dopage (AFLD) sont stagnants, voire en régression." explique-t-elle.
Le laboratoire de Châteany-Malabry en difficulté ?
Du fait des restrictions budgétaires, d'ailleurs, le laboratoire de de Châtenay-Malabry, autrefois une grande référence de la lutte, est pointé du doigt par l'AMA. Valérie Fourneyron, présidente de l'Agence Mondiale Antidopage insistait, dans des propos rappelés dans l'enquête menée sur la question par Libération : "L’Agence française de lutte contre le dopage [AFLD] et son laboratoire ne font plus partie de ce réseau de référence. Or, dans ce domaine, ce sont d’abord les labos qui comptent". L'ITF aurait-elle, de ce fait, une défiance vis à vis de l'AFLD ? Si l'on en croit ce dossier de Libération, qui se base sur le rapport de la société Eléas, mandatée pour faire un audit, la situation dans le laboratoire n'est pas glorieuse : "Les locaux sont anciens et connaissent quelques faiblesses structurelles (fuites d’eau, etc.), les bureaux sont exigus et leur respect des normes de sécurité serait à vérifier". Les répercussions se font sentir sur les salariés : "l’inégalité de traitement qui favorise les ambiances de travail délétères, voire conflictuelles", explique le rapport. Pour autant, le laboratoire de Châtenay-Malabry garde les faveurs de l'AMA, qui ne l'a pas suspendu comme cela s'est fait pour celui de Moscou ou pour celui de Madrid. Pour Damien Ressiot, interrogé par Libération, il n'y a pas débat : "le labo se trouve parmi les dix, douze qui comptent au niveau mondial". Pas de quoi, donc, à ce que l'ITF fasse la tête, d'autant que le laboratoire-phare de l'AFLD vient de voir un nouveau directeur nommé à sa tête et qu'il reprend du poil de la bête. De quoi redonner tout son lustre à l'anti-dopage français.