Tennis. Roland-Garros - Saga des qualifications : Thierry Champion, notre n°3
Par Jules HÉRODE le 22/05/2020 à 22:00
En cette deuxième quinzaine de mai, il règne - crise sanitaire oblige - une atmosphère bizarre autour du stade Roland-Garros. Une impression de vide absolu. Habituellement, le quartier est bouclé, l'effervescence est palpable, les vrais amateurs de tennis sont au bord des courts annexes. C'est une semaine magique. On peut voir de près des joueurs qui jouent souvent leur peau pour toucher le Graal : l'accès au grand tableau d'un Grand Chelem. On revoit des anciens, on découvre des jeunes loups affamés. Tennis Actu s'est amusé à effectuer le Top 5 des qualifiés les plus prestigieux du French. L'occasion de revivre des épopées inespérées. Un classement forcément subjectif mais au final, il n'y aura guère de surprises si vous maîtrisez vos qualifs... Après le parcours du lucky loser David Goffin en 2012 et l'épopée d'Andrei Medvedev en 1992, coup de projecteur sur le seul Français qui a atteint les quarts de finale en sortant des qualifs.
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La formidable épopée de Thierry Champion en 1990
Trente ans plus tard, Thierry Champion se souvient de tout. Ou presque. Des qualifs à un quart de finale de Roland-Garros, ce n’est en effet pas banal. Joint à Perros-Guirec – où il a filé pour entraîner Clara Burel – , il nous cite pêle-mêle la désillusion de voir la dernière wild-card lui filer sous le nez et ce direct dans le 20 heures de France 2 de Paul Amar pour suivre son 8e de finale épique face à Karel Novacek. Des souvenirs inoubliables.
Mais pour qu’il y ait eu épopée, il faut revenir un an en arrière. Au printemps 89, le blondinet au revers à une main commence à s’installer sur le circuit. Il est 135e mondial. A quelques jours des Internationaux de France, il doit taper avec Ronald Agenor. Un peu à la bourre, il arrive sur le court sans échauffement. Et c’est le drame, une frappe appuyée et le poignet morfle. « En fait, j’avais une fracture du scaphoïde mais j’ai gardé ça secret », avoue-t-il.
Parce qu’il a besoin d’argent, qu’il était tableau final, il dispute quand même Roland-Garros. « J’avais tiré l’Américain Lawson Duncan qui n’était pas un foudre de guerre sur terre, je me disais qu’en allant au-delà de la douleur, ça pouvait passer… A l’époque, il n’y avait pas de classement protégé. » Voilà pourquoi il se rend aussi à Wimbledon, où il est éliminé par Goran Ivanisevic. « J’avais changé de raquette, j'avais joué avec une Prince grand tamis pour que cela me fasse moins mal », rigole-t-il.
Mais quelques semaines plus tard, le point de rupture est atteint au tournoi d’Hilversum. « Là, j’ai dû me faire plâtrer trois mois, dit-il. Mais j’en profite pour faire une vraie préparation foncière à la montagne, à Saint-Gervais, où l’on m’avait prêté un chalet. Je courais tous les jours, j’étais fit. »
Mais quand il est déplâtré, il faut du temps pour retrouver les sensations. Son classement a chuté. Pour débuter 1990, il est 405e mondial. « Je repartais de zéro, sans le sou. Je décide alors de partir sur un Satellite en Italie. » Un mois de galère mais il grignote de précieux points ATP en terminant deuxième du circuit, derrière Fabrice Santoro. Il retâte du circuit à Milan, où il bat Petr Korda. « Ensuite, je passais par toutes les qualifications. A Rome, je sympathise avec Arnaud Boetsch, qui bossait avec Francis Rawsthorne. On décide former un team. A une semaine de Roland, je suis remonté 191 à l’ATP et je fais une demande de wild-card. »
La dernière invitation pour Mansour Bahrami
Les premiers heureux élus sont révélés (Cédric Pioline, Olivier Soules, Henri Leconte, Fabrice Santoro, Guillaume Raoux, Tarik Benhabiles et Eric Winogradsky). « Il ne reste plus qu’une wild-card à distribuer et le temps presse, on est à deux heures des signatures pour les qualifs. Et je croise Mansour Bahrami qui m’annonce, désolé, que les organisateurs lui ont accordé la dernière invit. J’étais détruit mais d’un autre côté, Mansour, c’était un comme un grand frère. Au dîner, Francis et Arnaud me remontent le moral. Ils me disent que ce n’est pas la fin du monde j’ai 23 ans et que j’ai la chance de pouvoir jouer les qualifs. A l’époque, ça se déroulait à Jean-Bouin. Le Central était plein du matin au soir, c’était une atmosphère géniale. Je me souviens avoir survolé mes trois tours. Mais j’ai un trou sur mes adversaires. Peut-être Francisco Roig au dernier tour (NDLR : possible car l’Espagnol sera repêché). »
La suite appartient à la légende de « Champ ». Il élimine successivement Goran Prpic, Juan Aguilera – alors tête de série n°12- et Guy Forget. Une bataille en cinq sets qui l’entame physiquement. Mais, deux jours plus tard, sur le Central, il trouve les ressources pour déboussoler Karel Novacek. Le Français abuse de balles en cloche mais le Tchèque va finir par craquer alors que le blondinet souffre d'une contracture au fessier. Le soutien du public l’a sublimé ce soir là…
Des centaines de lettres
« En quart, contre Andres Gomez, j’étais cramé, j’ai fini sur un mauvais match mais ce Roland 90 m’a marqué. A l’époque, il n’y avait pas de portable. Les gens nous déposaient des lettres à la porte 13. J’en ai reçu un nombre incroyable. » Thierry Champion est devenu la coqueluche du tournoi. Il ne revivra jamais de telles sensations Porte d’Auteuil. En revanche, en 1991, il signera un nouveau coup fumant en atteignant les quarts de finale à Wimbledon avec la réputation de ne jamais se hasarder au filet…