Tennis. Technique - Tsonga, Murray sous l'oeil de la biomécanique
Par Clémence LACOUR le 19/08/2016 à 20:00
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Tennis Actu a rencontré à Nîmes à la Madone du Mas l'entraîneur de Tiffany William, une jeune joueuse qui aimerait arriver à jouer sur le circuit WTA. Formateur d'entraîneurs en Grande-Bretagne, Yves Latreille, avec son passé atypique, formé au Club Med, où il fut un collègue de Lionel Zimbler, puis en Espagne chez Sanchez-Casal, a été le coach d'un jeune actuellement préparateur de Dan Evans. Il est membre du registre des Professionnels du Tennis Espagnol (RPT), possède des diplômes étrangers et travaille entre la France et la Grande Bretagne, il est également "Cerified ATP Tour Supervisor" et "GPTCA ATP Tour Level B". Il a ensuite été superviseur du Programme ATP Tour Club Med pour former à la méthode de l'ATP où il a mis en place un programme pour enseigner les amorties, les coups à hauteur d'épaule, par exemple, pour des joueurs de la 4e série à 2nde série. Il nous explique comment il travaille avec sa joueuse britannique et comment il voit les joueurs du circuit, d'un point de vue biomécanique.
Quelles sont les différences entre les formations en Espagne, en France et en Grande-Bretagne ?
Les formations sont différentes, mais plus basées sur des choses pratiques. En Espagne, c'est très axé sur le physique, le mental, un peu la technique, mais surtout sur le jeu de jambes. J'ai pour ma part beaucoup étudié la biomécanique. Je me suis formé par moi-même grâce à une documentation fournie. J'ai également passé des diplômes en psychologie du sport. C'est enrichissant de voir à l'étranger, comment ça se passe. Il faut s'ouvrir. Les Espagnols sont aussi forts que les Français au tennis non ? En Grande-Bretagne, je mets en place, en lien avec le RPT, les programmes qui concernent la biomécanique, la technique et la vidéo-analyse. C'est un système basé sur des progressions. Chaque coup du tennis est divisé en plusieurs morceaux et on apprend morceau par morceau, c'est analytique surtout.
Que regardez-vous quand vous récupérez un joueur et que travaillez-vous ?
Quand je prends un joueur, je regarde quelle est sa motricité personnelle. Comment il bouge, comment il va fonctionner au niveau de l'oeil, de sa vision, de ses mouvements. Chaque joueur est différent et a sa motricité personnelle à lui. On va alors travailler à 70% ou 80% sur ses points forts, sur ce qui va être plus rapide, plus fluide et le reste sur ses points faibles. C'est ainsi qu'on progresse, sinon, le joueur perd confiance. En ce qui concerne Tiffany, on a changé la technique, puisqu'elle avait une grande préparation de coup droit alors que ce n'était pas adapté à ce qu'elle doit faire avec sa motricité. Tiffany est une terrienne, elle aime bien s'ancrer au sol. Elle est très forte au niveau des cuisses et des hanches, donc il faut qu'elle pousse très fort au niveau du sol. Jusqu'à présent les entraîneurs l'avaient fait travailler en pliométrie, sans flexion de genoux, alors qu'elle a plus besoin de travailler en concentrique, ils la faisaient beaucoup travailler en excentrique. Sur le terrain, ce n'est plus du tout le même jeu. Elle a battu une -15 sur un ITF qui avait des victoires à numérotées et commençait à bien jouer avant de se blesser. Je l'ai connue à 13 ans sur Birmingham où elle venait de temps en temps, et je l'ai suivie l'an dernier pour voir ce qu'elle était devenue. Il y a beaucoup d'affectif, elle est très gentille et elle a du potentiel. C'est pour cette raison que je l'entraîne.
Vous êtes spécialiste de biomécanique et de neuro-biomécanique . Pouvez-vous nous expliquer ce que c'est et comment vous travaillez ?
C'est la signature motrice de chaque joueur. Il faut jouer sur ses forces. Il aura plus confiance. Il y a des tests pour connaître l'oeil directeur, savoir s'il est périphérique ou concentrique. Si on a un joueur terrien en face, très ancré au sol, on va le faire reculer, le bouger plus en diagonale, car ce sera plus difficile pour lui de changer de direction car il faut orienter les hanches plus rapidement. Quelqu'un de plus bondissant aura plus de mal sur des balles plus courtes, plus basses et des slices. Par contre, ce type de joueur, avec une motricité dite croisée, va pouvoir changer rapidement de direction. Les chaînes musculaires utilisées ne sont pas les mêmes. Le terrien, c'est celui qui s'ancre beaucoup au sol, très fort en traction, avec un centre de gravité sur les trois-quarts arrière des pieds ; le joueur aérien va être plus fort au niveau des chevilles et va partir des épaules d'abord, avec un centre de gravité vers l'avant, il fera des allégements plus hauts par exemple. Mais après il y a d'autres « types » de joueurs. Il faut faire des tests simples. On peut faire en gros 4 grandes catégories de joueurs. Les joueurs qui sont arrière-parallèles, avec une motricité arrière, mais qui vont tourner en parallèle, les épaules et les hanches en même temps comme Serena Williams et Jo-Wilfried Tsonga ; il y a ceux qui vont être arrière-croisés : ils vont partir des épaules et après les hanches, ceux qui sont avant-parallèles, comme Roger Federer et enfin avant et croisés, comme Rafael Nadal et Gaël Monfils, qui est très en pivot sur la jambe gauche. Andy Murray pareil.
Comment va-ton savoir comment tel ou tel joueur fonctionne et comment, selon le type, les fera-t-on jouer ?
On va les entraîner selon leurs forces. Les premiers, on les fera travailler plutôt sur du latéral, et essayer de les faire rentrer dans le court, le plus possible. Le troisième type de joueurs, dont l'exemple est Federer... , bon, Roger Federer, il peut tout faire de toute façon, donc lui, ce n'est pas pareil. (rires). Mais on ne peut pas les entraîner de la même façon. Pour un joueur type Tsonga, comme je l'ai dit, on le ferait entrer plus dans le court. Quand il fait ça, il est très fort. Gasquet lui, il est bondissant et croisé. Un joueur comme ça, on va mettre en valeur son merveilleux revers. Une Agnieska Radwanska a un jeu atypique, elle a souvent les fesses au ras du sol et n'est pas si bondissante. Il faudrait analyser. Pour connaître la biomécanique d'un joueur, il y a des tests très simples : assis ou debout, on fait fixer un point et on voit si le joueur résiste mieux à la force exercée en regardant un point fixe en face ou l'horizon, pour savoir si la vision est globale ou centralisée on le fait mettre sur la tranche des pieds intérieure ou extérieures... On va ensuite regarder les micro-motions (pronation, supination de l'avant bras) et macro-motions (les mouvements du torse ou du bas du corps) avec de la vidéo-analyse.
Car à la vidéo, grâce au gros plan, on peut voir de nombreux éléments, c'est ça.
Oui, dans la préparation par exemple. Si on prend Richard Gasquet, il a une préparation qui est en supination, quand il descend la raquette, il n'est pas trop en pronation, il est entre les deux. Un Roger Federer, et les 4 meilleurs joueurs du monde en fait est en pronation au début, en pronation en descendant la raquette et il est en pronation à l'impact. Curieusement, la plupart des filles démarrent en supination. Tous ces micro-motions font une grosse différence. Cela donne un gros avantage car être en pronation façon Federer, cela permet d'être plus élastique et de jouer en relâchement. Au niveau de l'orientation de la raquette, on a également ainsi le meilleur angle possible pour taper la balle. Sinon, il faut faire un mouvement volontaire de la main pour refermer la raquette et imprimer l'effet. Andy Murray, avant sa blessure au poignet, vers 18 ou 19 ans, il préparait en supination et on voyait bien les contractions au niveau des muscles. Il est passé de supination à pronation, et son coup droit a beaucoup évolué. Son coup droit est plus lourd, plus efficace, avec plus d'effet, et moins de blessures. Pour Roger Federer et Rafael Nadal, cela semble être inné, Murray l'a sans doute travaillé.
Propos recueillis à Nîmes à la Madone du Mas par Clémence Lacour