Tennis. Cinéma - S. Demoustier et son film "Terre Battue"
Par Christophe de JERPHANION le 13/12/2014 à 18:48
Mercredi 17 décembre, sortira dans une petite centaine de salles en France le premier long métrage de Stéphane Demoustier, intitulé Terre battue. L'histoire d'un père, cadre au chômage dans le Nord de la France, qui se démène pour retrouver un poste à sa convenance dans le contexte économique difficile qu'on connaît, et perd alors de vue la passion de son fils pour le tennis. Hugo, 11 ans, pourrait rejoindre le Centre National d'Entraînement à Roland-Garros s'il remporte les championnats régionaux... Aux côtés d'acteurs confirmés, Olivier Gourmet et Valeria Bruni-Tedeschi, Charles Mérienne, jeune joueur de tennis confirmé, campe parfaitement Hugo, dans une histoire qui va tourner au drame.
Un an après avoir réalisé Les Petits joueurs, un documentaire dans lequel il suivait 3 participants aux championnats de France des 10-11 ans, Stéphane Demoustier associe cette fois ses passions pour le cinéma et le tennis dans une fiction, un drame social produit par les frères Dardenne, deux fois Palme d'Or à Cannes. Rencontre avec un jeune réalisateur passionné...
Comment vous est venue l'idée du scénario de Terre battue ?
Quand j'étais enfant, je jouais au tennis et, un peu comme le personnage de Hugo dans le film, j'ai entraperçu le haut niveau. C'était l'espérance forte de mon enfance, l'expérience marquante. Cela m'a appris l'intensité, une certaine exigence. C'était exaltant, mais aussi assez âpre. Pour un premier film, on puise nécessairement dans ce qu'on est et j'avais envie de revenir là-dessus mais je ne voulais pas que ça ne parle que de ça, alors j'ai élargi l'histoire. Le tennis renvoie à un monde plus vaste, à nos sociétés.
Il y a également à l'origine de ce film un fait divers...
Effectivement, il y a l'histoire bien connue dans le monde du tennis et au-delà de ce père qui mettait des somnifères dans les gourdes des adversaires de son fils et de sa fille. Toutefois, je n'ai pas enquêté sur ce fait divers, je l'ai interprété. Quand j'ai écrit le scanério avec ce fait divers en tête, ça m'a conforté dans l'idée qu'il y a quelque chose dans le tennis qui dépasse le sport. Quelque chose d'un peu irrationnel et donc, j'ai eu envie de creuser, mais en m'éloignant du fait divers originel, parce que ce qui m'intéressait, ce n'était pas ce père qui veut réussir par procuration et pousse, pousse, pousse ses enfants. Ce schéma, on le connaît par coeur et je n'ai rien à en dire.
"Je voulais d'abord montrer l'effort du petit, dans mon film"
Et c'est vrai qu'au départ, on s'attend à ce que Terre battue évoque un père qui pourrait ressembler à celui des soeurs Williams, mais c'est tout le contraire...
J'ai pris le contre-pied de ça, parce que j'ai l'impression que voir un enfant qui a des rêves que ne partagent pas ses parents est tout aussi violent. Et ça existe tout autant. C'est cette violence-là que j'ai eue envie de relater. Elle me semblait tout aussi pleine de vérité et moins banale.
Comment filme-t-on le tennis au cinéma ?
On a tous l'habitude de voir le tennis à la télévision, on connaît bien le plan qui restitue l'échange en vue aérienne. Au cinéma, il faut un peu s'affranchir de ça. Je me suis demandé ce que je voulais montrer dans mon film et c'était d'abord l'effort du petit. A la fois l'exaltation qu'il éprouve à jouer, mais aussi la violence du jeu. Donc, j'ai filmé avant tout le protagoniste dans l'effort, avec des plans plutôt serrés, un gros travail sur le son pour entendre son souffle, ses pas, le bruits des balles... Restituer vraiment l'expérience du jeu, c'est ce qui m'intéressait et ce que j'ai cherché à faire.
"Filmer le tennis différemment qu'à la télévision"
On voit bien aussi cela quand vous montrez une séance d'entraînement sans raquette, un exercice très dur...
Oui, il fallait montrer l'effort, l'exigence. Ce petit, il explore en permanence ses limites. Je voulais que le scènes de sport nous montrent ça physiquement. Il est un peu plus petit que les autres. Il est doué, mais il a ce petit désavantage physique. Il lui faut donc redoubler d'efforts et c'est d'autant plus difficile pour lui. Après, j'ai utilisé la grammaire du cinéma appliquée au tennis : des champs-contrechamps, ce qu'on ne voit jamais à la télé. Ce sont vraiment des fabrications de tournage et de montage, mais qui sont assez amusantes à faire. Il s'agit de déjouer l'esthétique habituelle du tennis télévisé.
On a l'impression d'être au bord du court, avec un caméscope à l'épaule...
Oui, c'est ça, ou de regarder à travers les yeux d'un coach, comment il va observer son joueur. Le film repose sur les deux personnages du père et du fils et, dans les scènes de tennis, il faut montrer l'enfant. Et mettre un autre enjeu que le seul résultat de l'échange, ce qui implique une manière différente de filmer qu'à la télé.
"Quand j'ai vu Charles Mérienne, il y a eu comme une évidence"
Parlons justement de Charles Mérienne, le garçon qui incarne Hugo, le joueur de tennis du film. Comment l'avez-vous choisi ?
Charles Mérienne est Bourguignon. Je l'ai vu une première fois lors du tournage de mon documentaire aux championnats de France des 10-11 ans à Blois. Comme je savais que j'allais faire Terre battue, j'ai observé quelques enfants et, en le voyant, j'ai pensé qu'il ferait un Hugo potentiel. Pendant le montage des Petits joueurs, je suis arrivé à la certitude qu'il fallait un tennisman pour incarner Hugo parce qu'on ne peut pas tricher avec la technique. Et puis, à force de jouer au tennis, ces enfants ont une sorte d'intensité, de concentration qu'un autre enfant n'aurait pas. Le désir de faire ce film était également lié au désir de filmer du tennis, il fallait donc être cohérent.
J'ai vu 350 enfants mais Charles est sorti du lot. Quand je l'ai vu, il y avait comme une évidence. Il fallait qu'il arrive à jouer la comédie, mais, plus que cela, il fallait qu'il soit à l'aise. A l'époque, il était champion de Bourgogne, maintenant, il est vice-champion et il est classé 15. Il aimerait bien refaire du cinéma, mais il continue le tennis et joue 5 à 6 fois par semaine.
Peut-on dire que votre film montre la place que peut prendre le sport de haut niveau dans notre société, en termes d'ascension sociale, par exemple ?
Le film montre des phénomènes et pose des questions. La compétition dans le sport, c'est normal. La compétition appliquée de manière intensive chez les enfants, ça peut devenir dévorant si on ne sait pas où mettre la limite ou filtrer les choses. Mais, cette logique de compétition irrigue bien d'autres domaines que le sport. La compétition, j'adore ça, j'y vais malgré moi, dès qu'elle se présente, c'est plus fort que moi. Et, en même temps, si elle est stimulante, je sais qu'elle peut aussi se retourner contre vous, vous vaincre.
"On oublie que la notion de plaisir est centrale"
C'est indéniable que la compétition est partout et qu'elle peut prendre des dimensions excessives. Ce sont ces phénomènes que montre le film, mais je ne sais pas si la compétition, c'est bien ou mal, je n'ai pas de réponse. Terre battue est un drame social, c'est vrai, mais c'est un film où le personnage central vit un drame de statut social plus qu'économique. Il est la figure du père qui entreprend, qui réussit, qui n'est pas en position de faiblesse. Et il doit conquérir, défendre, préserver ce statut. Il doit rester tout en haut, il doit en quelque sorte garder son statut de champion.
Le mot "plaisir" n'est quasiment jamais prononcé dans les scènes de tennis, mais c'est le dernier mot du film...
Ce n'est pas un hasard que le film se termine là-dessus. On avait presque oublié que c'est une dimension essentielle et elle était absente du projet sportif. Le petit est dans une logique très socialisante, une logique d'adulte. On oublie son statut d'enfant et lui-même s'est trop éloigné de la notion de plaisir alors qu'elle est centrale.
Propos recueillis au Tennis Club de Paris, par Christophe de Jerphanion, pour Tennis Actu.