Tennis. Interview - Andrea Gaudenzi et l'ATP ont pardonné à Roland-Garros
Par Tennis Actu le 17/04/2020 à 09:10
Andrea Gaudenzi, le nouveau président de l'ATP, se faisait discret sur le plan médiatique depuis l'annulation en cascade des tournois. Il a accordé ce mercredi sa première audio-conférence avec cinq confrères italiens. Un entretien réalisé par UbiTennis et Ubaldo Scanagatta en partenariat avec Tennis Actu et Tennisnet. Gaudenzi apparait très diplomate. Il a aussi du courage et la volonté d'imposer un calendrier de fin de saison cohérent. "Voyons grand... Tout repose sur l'été américain et l'US Open. L'Objectif ? Jouer trois Grands Chelems et sept Masters 1000." Rome et Paris en quatre semaines de terre battue après l'US Open ? C'est l'idée... ! Autre information de taille : Roland-Garros, s'il se joue fin septembre, accordera bien des points ATP. L'espoir et le premier objectif de cette saison de tennis massacrée par le coronavirus est de jouer trois tournois du Grands Chelem et sept Masters 1000, dont plusieurs sur terre battue. Rome ? Pour ensuite pouvoir disputer normalement les ATP Finals à l'O2 Arena.
Vidéo - Bernard Giudicelli se justifiant du report de Roland-Garros
"J'ai vu le discours en direct de Emmanuel Macron"
Comment pensez-vous réagir à la décision déplaisante de Roland-Garros ? La menace d'enlever des points cette année et l'année prochaine est-elle réelle? Le dialogue a-t-il été renoué ?
Cela a provoqué une discussion très ouverte et transparente entre tous les chairmen et nous nous sommes dit que nous faisons partie de la même histoire, nous vivons dans le même immeuble, on ne peut pas agir comme bon nous semble. la décision de Roland-Garros de déplacer son Chelem est compréhensible. J'ai vu le premier discours d'Emmanuel Macron et il était direct à propos du virus. La FFT a senti l'urgence de planter son drapeau fin septembre. Mais personne ne sait quand nous pourrons retourner jouer en toute sécurité. Parler d'août, de septembre, de novembre, tout cela est hypothétique. Roland-Garros a fait un pas en arrière, ils ont compris et ont dit : "discutons-en" (NDLR: Andrea Gaudenzi laisse entendre qu'il n'y aura aucune sanction). L'US Open aussi a un plan pour déplacer son tournoi si la situation ne s'améliore pas cet été. Le principe qui nous inspire est très simple : essayer de jouer le plus grand nombre possible de tournois avec les semaines à disposition, pour préserver non seulement les points et le prize money mais surtout pour pouvoir offrir du spectacle aux spéctateurs.
Gros souci avec la date du Masters de Londres à l'O2 Arena !
Les Français restent sur cette date. Qu'en pensent les joueurs ?
Les joueurs m'ont beaucoup écouté. J'ai parlé avec tous les joueurs du Player Council, avec Roger, Rafa, Djokovic, et tous sont d'accord avec la philosophie de pouvoir jouer les tournois les plus importants. Donc, même si cela n'est que théorique, il est justifié que Roland-Garros puisse se tenir en septembre, alors qu'il ne se justifie pas de déplacer de deux ou trois semaines l'US Open. Si on ne peut pas jouer début septembre, je doute fortement que l'on puisse jouer fin septembre. Il y a des échéances: la O2 Arena de Londres est bloquée pour les ATP Finals, c'est la seule semaine possible, tout comme le sont la plupart des autres arènes européennes comme celle de Vienne ou de Bâle. Il ne sera pas facile de réussir à déplacer le tournoi car ce sont des stades multiusages et tout le monde cherche à reprogrammer les événements. Nous sommes en train de collaborer avec la WTA également, qui a une tournée asiatique très importante. Dans l'idéal, nous voudrions pouvoir compter sur deux Masters 1000 sur terre avant ou après Roland-Garros.
L'hypothèse semble celle de jouer sur terre battue à la mi-septembre. Le tournoi de Rome peut-il devenir un tournoi indoor? Envisagez-vous cette hypothèse?
Nous sommes en train de travailler sur l'hypothèse de quatre semaines sur terre battue après l'US Open. Si l'on joue cet été aux Etats-Unis, puis sur terre battue et enfin en Asie pour clore avec les ATP Finals, cela serait la meilleure des hypothèses. Nous aurions sauvé une grande partie de la saison, 80% des tournois et des points, après avoir perdu toute la saison sur gazon. Et avec sept Masters 1000 et trois Grands Chelems sur quatre, nous ne pourrions pas trop nous plaindre. Si jamais on ne joue pas l'US Open, alors cela sera dix fois plus difficile et à ce moment-là, nous devrions envisager de jouer aussi en novembre et en décembre. Mais pour l'instant, nous comptons sur une reprise juste après Wimbledon.
Avez-vous pensé à des tournois... régionaux, seulement européens, ou seulement américains, seulement asiatiques, pour éviter les déplacements de joueurs d'un continent à l'autre ? Et si tout était annulé, quelles seraient les pertes économiques ?
Oui, nous sommes en train d'évaluer des formats différents en cas de fortes restrictions sur les voyages. Le tennis est un sport global et à coup sûr pour nous cela sera plus difficile que pour les autres sports, comme le football, où tous jouent dans le même pays et où le problème des voyages ne se pose pas. Même dans un tournoi "combined" à huis clos, il y a 2 000 - 3 000 personnes qui se déplacent et cela devient difficile de garantir la sécurité de tout le monde. Notre travail consiste à faire en sorte que les gens aient le sourire, nous sommes dans le business du divertissement. Nous ne voulons sûrement pas devenir un sport régional car nous ferions un pas en arrière, et se poserait alors le problème des points et du classement. Sur le plan économique, il y a différentes hypothèses de budget, vingt par jour ! Il y a trois sources de bénéfices : les droits télé et médias, les sponsors et les billets. La billetterie souffrira beaucoup et même les sponsors vont prétendre à avoir des réductions, surtout si l'on devait jouer à huit-clos quelque part. Nous allons tenir une année, je suis assez optimiste sur l'automne, et en partie aussi sur l'été. Si l'on arrive à tenir bon et jouer le Masters, ok. Nous survivrons. Allons-nous tenir deux ou trois ans? Non ! Si le problème persiste, alors cela devient compliqué. En ce qui concerne les aides financières, d'abord nous allons nous occuper des tournois Challenger et des ATP 250, ainsi que des jouers classés entre la 250e et la 500e place mondiale car ce sont ceux qui en ont le plus besoin. Il est inutile d'aider ceux qui jouent les Grands Chelem et les top 50.
Si vous pouvez changer quelque chose, que changeriez-vous dans la situation actuelle ? Federer, Djokovic, Nadal, tous semblent, qui plus qui moins, avoir des intérêts privés ?
J'ai decidé d'être candidat parce que j'ai vu une énorme opportunité pour le tennis qui, d'après moi, n'exploite pas tout le potentiel auquel il peut prétendre. Notre sport est sain, solide du point de vue du business mais si tu compares avec les autres sports du point de vue des droits télé, le tennis occupe moins d'1,2% de la totalité des droits. Et pourant il a plus d'un milliard de fans ! Nous sommes dans le Top 5 dans les deux circuits, 50-50 hommes et femmes, alors que les autres sports sont très centrés sur la compétition masculine. Nos concurrents ne sont pas seulement les autres sports mais toutes les plateformes de divertissement. Aujourd'hui, tu joues avec le temps, le portefeuille et l'attention des gens. Si un jeune s'assied sur son divan, il a le choix de regarder une série sur Netflix, d'écouter de la musique, de regarder du football ou un match de tennis. Jusqu'à présent cela s'est bien passé pour nous, mais attention car le monde est en train de changer, nous passons d'un monde linéaire "broadcaster" à un monde digital, où il y a d'énormes opportunité en particulier pour notre sport. La durée des parties de tennis était un cauchemar pour une chaîne de télé, mais nous pouvons bénéficier de la transition vers le monde vers lequel nous allons, si nous réussissons à développer le tennis, au lieu de nous focaliser sur des querelles internes nées d'un manque de transparence et de confiance [...]. Levons la tête, voyons grand, collectivement. Nous devons parler la même langue en disant la vérité. Il faut de petits sacrifices d'un côté comme de l'autre. Cette crise nous place face à un choix : ou elle nous rend plus fort ou elle nous divise davantage [...].
"Soyons contents que Roger Federer joue encore..."
Qu'avez-vous pensé et comment avez-vous réagi lorsque Federer a annoncé qu'il ne jouerait pas l'ATP Cup ? Avez-vous demandé des garanties pour l'année prochaine ? Ou bien vous semble-t-il qu'il sélectionne encore davantage ses prestations ?
J'avais déjà parlé avec Roger avant mon élection et je lui ai dit : "Roger, j'ai pris ma retraite il y a 17 ans et je ne sais pas comment tu fais pour bouger. Je te regarde à la télé et je ne sais pas comment tu fais. Moi, à 30 ans, j'étais cuit, j'avais mal partout, même mentalement et psychologiquement."
Arriver à ce niveau, à cet âge, il faut être un phénomène, comme il l'est... Et alors, vouloir se plaindre parce qu'il ne joue pas un tournoi... Je suis d'avis qu'il faut regarder le verre à moitié plein. Soyons contents qu'il joue encore quelques tournois... il pourrait être parti à la retraite, alors qu'il joue encore. Ce n'est pas facile, et c'est un ancien joueur qui vous parle. C'est vrai, nous voudrions l'avoir toutes les semaines, mais ce n'est pas possible. Soyons contents qu'il continue à jouer, remercions-le pour ce qu'il nous donne, où qu'il joue, et là où il le souhaite.