Tennis. ITW - Alex Klegou : "L'injustice favorise les scandales"
Par Clémence LACOUR le 22/05/2016 à 18:14
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Alors que le tapis rouge se déroule sur Paris et que le rideau se lève sur Roland-Garros ce dimanche, voici le dernier volet de notre rencontre avec le Béninois Alexis Klegou, qui, après nous avoir raconté son parcours et dévoilé l'état des lieux du tennis en Afrique, nous explique maintenant comment fonctionne le circuit ATP des Challengers et des Futures, hors des projecteurs du World Tour, un circuit où règnent injustice et galère financière.
Les Futures et Challengers, le circuit sur lequel vous évoluez, Alexis Klegou, sont particulièrement touchés par diverses magouilles, comment l'expliquez-vous ?
Eh bien mais c'est complètement normal. Quand on joue à un certain niveau de jeu, en dessous des 200-250 mondiaux, parce qu'à ce classement-là, c'est quand même pas mal, on peut faire les qualifications de l'ATP, donc disons entre les 200 et 800, ce sont des mecs qui font le tennis. Sans ces mecs là, il n'y a rien, le top 100 n'existe pas. Sans eux, il n'y a rien, le tennis s'écroule, tout simplement. Mais il y a une répartition des prix horrible. L'échelle est très mal faite, l'argent est très mal réparti. Il est majoritairement donné à l'ATP World Tour, tout va vers le haut, et en bas, il n'y a rien. Actuellement, ils font des efforts pour augmenter un peu les prix sur les circuits secondaires. Mais c'est pas normal que ces mecs gagnent si peu ; alors qu'ils s'entraînent autant qu'un joueur du World Tour, et que parfois, ils sont même parfois tennistiquement meilleurs que d'autres qui, eux, ont économiquement les moyens de se payer un coach privé, des voyages, etc. Le contexte économique a un impact démesuré sur le tennis, et ce n'est pas normal. Ce n'est pas normal que des joueurs aussi talentueux ne puissent pas vivre correctement. Ils pourraient, mais avec une année de circuit, deux années de circuit et toutes ces prises de tête et ce contexte économique incroyable, c'est compliqué. Tu gagnes un tournoi Future -c'est mon cas, avant ma blessure, en Turquie- tu gagnes peu. En Turquie, les gains sont déjà taxés à 25 %. En théorie, tu gagne 1200, en fait tu prends 900, tu dépenses 70 euros par jours, et encore, là, ça allait car c'était un "all exclusive", car parfois, comme en Allemagne, tu dois aussi payer ton hôtel à 50euros la nuit, les repas 15 euros à midi et le soir, il y a aussi les cordages, à 15euros. Tu casses 6 raquettes la semaine, tu es vite à 200euros, donc tu as un budhget d'environ 600 euros la semaine, plus le vol, à 450 alle-retour. Ca veut dire que si tu gagnes un tournoi ATP et tu rentres mêmes pas dans tes frais. C'est limite si tu perds pas d'argent. Ce n'est pas normal quand tu t'entraînes 5 heures par jour et que tu es un bon joueur de tennis.
Surtout quand on connaît les prize-money du World Tour.
Bien sûr. Ils sont démesurés. Je ne m'intéresse pas trop aux montants des gains des grands joueurs. A Roland-Garros, ça a encore augmenté. On est proche des 3 millions pour le vainqueur, je crois, et surtout répartis pour le vainqueur et le finaliste, qui n'ont pas forcément besoin de ça. Ca n'a pas de sens. Pour les autres joueurs, les Futures, c'est le bas de l'échelle, alors disons qu'au moins en Challenger on pourrait considérer que tu es un bon joueur de tennis et qu'il faut augmenter un peu les gains. Il faudrait au moins investir sur ce circuit-là, le Challenger, alors que même sur ce circuit-là c'est compliqué. Tu gagnes peu... Si jamais tu ne peux pas jouer pour cause de blessures pendant deux mois, tu te retrouves dans le même pétrin, et tu te mets une pressionde dingue. Après, chacun a sa manière de voir. Il n'y a pas de reconnaissance, et le problème c'est que les joueurs cherchent cette reconnaissance, qui n'est pas donnée par les instances, alors qu'on s'entraîne dur.
Avez-vous des représentants à l'ATP ou à l'ITF ?
Non, très peu. Et puis je ne sais pas à quel point ils pèsent. Les représentants du World Tour, eux, ils se disent forcément que ce n'est pas le gars entre 250 et 800e mondial qui fait le tennis. Et ils n'ont pas forcément tort. Toujours est-il qu'à partir du moment où l'on gagne des points ATP, on devrait être rémunéré, et pas être dans la galère dans laquelle certains sont alors qu'ils sont 400, 500 ou 600 mondial. Ce n'est pas juste. Le circuit, c'est une pyramide. Si tu enlèves ce morceau-là, les Challengers et les Futures, tout s'écroule. Alors, c'est sûr que quand certains savent qu'ils peuvent faire un match et s'arranger pour parier dessus, le perdre et gagner 1000 euros sur le match, je comprends pourquoi il y a plein de gens qui se disent : "J'en ai marre et je le fais". On parle de sport professionnel, alors il faudrait peut-être payer les professionnels à la hauteur de leur travail. L'ITF brasse suffisamment d'argent pour cela. Moi, je le vois bien en Afrique de l'Ouest : ils ne sont pas clean sur leur répartition de leurs biens et des budgets alloués aux différentes régions du monde. Quand on voit des régions délaissées et d'autres alimentées de façon abusive. Il y a un déséquilibre extraordinaire. Bon, après, on ne peut pas refaire le monde. C'est comme ça. Les paris ? Je comprends, franchement. Attention, ce n'est pas légitime ni légal, mais je comprends. Il y a des scandales, mais ils sont provoqués par l'injustice, clairement, des instances du tennis, que ce soit l'ITF ou que ce soit l'ATP. De toute façon, on ne peut pas faire de pétitions ou décider de ne plus jouer, car il faut bien continuer à essayer de gagner sa vie.
Comment faites-vous, vous pour vous en sortir , puisque ce n'est pas simple de vivre du circuit ATP ?
Je ne suis pas à fond physiquement. C'est une période financièrement importante pour moi. Je joue pour Loon Plage, le club de Lucas Pouille, où il y a de nombreuses personnes compétentes. Ils espèrent faire un gros club, en espérant pouvoir monter pour que Lucas vienne jouer. Pour le moment, les matchs sont en printemps-été, et il ne peut pas venir puisque c'est en plein Roland-Garros, et en plein Wimbledon, donc il ne peut pas venir, c'est impossible. Mais en novembre, il pourrait venir. Nous sommes premiers. Je joue en Allemagne aussi. Je ne veux pas trop redonner, au risque d'avoir de nouveau des soucis après, mais je veux quand même aider mon équipe, puisque même sans être à 100% je peux aider mon équipe. C'est une période un peu tendue. Je suis une semaine en vacances à Nîmes à la Madone du Mas, puis je repars en campagne. Une fois les matchs par équipe passés, en France et en Allemagne, je ferai les Challengers et les Futures. Pour l'instant je m'entraîne dans une structure en Espagne et je fais le sparring pour de très bons jeunes, qui sont parmi les meilleurs de leur génération en Espagne. Ils étaient déjà n°1 et 2 de leur génération à 15 ans. Ca me permet d'amortir les frais d'entraînement. J'ai la chance d'être à Malaga, qui est une très belle ville. Le prochain tournoi, ce sera non loin de Malaga, si je suis bien, en juin, peut-être avec mon coach. C'est rare que je puisse aller sur le circuit avec lui, puisque financièrement, c'est impossible. J'ai quelques sponsors, comme Tecnifibre, quelques aides au Pays. Financièrement, c'est compliqué, j'ai quelques sponsors, mais l'année coûte très cher, je me déplace tout seul.
Propos recueillis à La Madone du Mas à Nîmes par Clémence Lacour