Tennis. ITW - B. Barbusse : "Les femmes qui parlent font peur"
Par Clémence LACOUR le 05/12/2016 à 11:35
Vidéo - Beatrice Barbusse : "Développer le sport au féminin"
Béatrice Barbusse est une femme engagée. Ancienne joueuse de handball professionnelle, elle est Maître de Conférence en sociologie à Paris Est Créteil et présidente du Centre National pour le Développement du Sport. Elle a été la seule femme à présider un club de sport collectif masculin, l'US Ivry (club de handball), durant 6 saisons "Ca ne les a pas empêchés de devenir champions de France", sourit-elle. Elle est l'auteur d'un livre : Du sexisme dans le sport, paru chez Anamosa éditions, qui dénonce les comportements sexistes à travers des anecdotes de terrain croustillantes, des affiches de compétition osées, ou encore l'image renvoyée par les médias, passées au crible de l'analyse sociologique. Tennis Actu l'a rencontrée afin d'évoquer le cas spécifique des joueuses de tennis. Elle revient notamment sur les affichages ouvertement sexys de certaines joueuses sur Facebook, Twitter ou Instagram ainsi que sur l'affaire Caroline Garcia/ Kristina Mladenovic, sur laquelle elle pose un regard critique d'ancienne manageuse d'équipes de très haut niveau.
Le tennis féminin a énormément de mal à exister sur le terrain médiatique, comment l'expliquez-vous ?
Il se passe au tennis ce qu'il se passe dans tous les sports. Les médias sont empreints plus que d'autres des stéréotypes de genre, qu'ils donnent sans s'en rendre compte une image sexiste du sport au féminin, et il se passe dans le tennis ce qu'il se passe dans tous les sports : on veut montrer des femmes qui correspondent aux canons habituels de la beauté, à la féminité au singulier, telle qu'on la voit dans les magazines de mode, en oubliant que la féminité, c'est une façon seulement d'exprimer sa féminité ; et qu'il y a autant de femmes. Ce mot-là devrait être employé au pluriel, et non au singulier. La féminité stéréotypée, c'est la femme qui est blanche, longiligne, belle, selon les critères contemporains de la beauté. Vous allez alors mettre en avant Maria Sharapova plutôt que Marion Bartoli à l'époque, ou Serena Williams. Ce n'est pas spécifique au tennis. Vous prenez cette surfeuse brésilienne, qui n'est pas moche mais qui n'est pas un canon, qui est excellente, mais ça fait 12 ans qu'elle ne trouve pas de sponsors, parce qu'elle ne ressemble pas à ce qu'ils attendent d'une femme qui fait du surf.
Dans votre livre, vous évoquez deux « types » de sportives, qu l'on peut retrouver dans le tennis, le premier serait représenté par Serena Williams, Marion Bartoli à son époque, moquées pour leur physique, et la seconde en a visiblement souffert, et de l'autre un pôle dans lequel on pourrait classer Maria Sharapova, grande, blonde, longiligne, ou Caroline Wozniacki qui a fait une séance de bodypainting, ou Dominika Cibulkova, qui poste des selfies sexys sur Instagram. Pouvez-vous préciser votre analyse ?
Alors là, on passe de l'autre côté, non du côté des médias, mais du côté des joueuses. Quand vous êtes sportives, vous savez que pour gagner de l'argent il faut gagner des matchs. L'autre possibilité pour gagner de l'argent, c'est d'avoir des partenaires. On va constater que Sharapova a plus de facilité à trouver des partenaires que Bartoli ou même Serena Williams. Les joueuses ont alors tendance à surjouer leur féminité. Mais cela va au contraire de l'enjeu collectif, qui est l'enjeu des femmes dans le sport. En faisant ça, elles jouent leur intérêt personnel : elles gagnent plus d'argent, elles sont plus médiatiques, certes, mais au bout d'un certain temps, elles ont prises au piège de leur propre stratégie, qui n'est pas leur propre stratégie, parce qu'elles répondent en réalité à des attentes de leurs partenaires et des médias, donc, quelque part, j'ai envie de leur poser cette question : "Est-ce que vous avez le choix de faire ça" ? En réalité non, elles ne l'ont pas. Elles disent qu'elles le font volontiers, mais elles répondent en réalité à ce que l'on attend d'elles. Elles donnent ce que les médias veulent voir et elles obtiennent ainsi ce qu'elles veulent avoir. Mais collectivement, il ya un effet pervers : ça reproduit la représentation genrée que nous avons des femmes. Nous avons un modèle en tête, le leur : grandes, blondes... Ca ne laisse plus de place aux autres, c'est ça que je leur reproche. Je leur reproche leur non solidarité, je leur reproche leur égocentrisme, je leur reproche leur égoïsme, car elles pensent à gagner de l'argent, mais elles ne pensent pas aux femmes qui ne peuvent pas en gagner parce qu'elles sont moins bien foutues qu'elles. On en fait quoi de ces autres filles ? On les met à la poubelle parce qu'elles ne sont pas belles ? C'est ça que je leur reproche. Elles sont centrées sur leur petit nombril, et leurs attributs féminins.
Quelle est votre analyse de l'affaire Caroline Garcia/Kristina Mladenovic, avec toute cette polémique sur leur vêtement, question éminemment féminine d'ailleurs ?
C'est une question qui m'intéresse doublement, car il ne s'agit pas seulement ici de la question de la femme mais d'une question managériale, qui est mon autre sujet de recherches. Mon regard est très simple : ce n'est pas à un joueur ou à une joueuse, de penser à la tenue avec laquelle ils doivent jouer, même si là elles ont leur part de responsabilité puisqu'à ce niveau-là elles doivent savoir avec quoi elles doivent jouer. Mais la première responsabilité, elle vient de ceux qui les encadrent. C'est aux entraîneurs, à la FFT, de savoir ce qu'elles doivent porter selon le règlement. Sur leur exclusion, il est sûr que ce qui les a desservi, c'est qu'elles ont ouvert leur gueule. Ca a joué en leur défaveur. Elles ont réagi, elles se sont défendues, elles ont ouvert leur bouche, et ça, pour le coup, ce n'est pas conforme aux stéréotypes de genre. Les femmes, on veut nous voir silencieuses, modestes, peu ambitieuses, presque soumises. On aime bien les femmes qui se taisent. Les femmes qui parlent, qui revendiquent, elles font très peur et quand vous avez l'attitude qu'elles ont eu, vous avez le risque d'être marginalisée, stigmatisée et écartées.
De votre point de vue, est-ce ce qui a pu porter Caroline Garcia à refuser de faire partie de l'équipe de France de Fed Cup en 2017 ?
Il y a sans doute diverses raisons, avec, entre autres, le retrait d'Amélie Mauresmo. Il y a une conjoncture de causes qui font que. Moi, quand une jeune femme comme elle, ou un jeune homme, refuse une sélection nationale, ce n'est pas le sportif ou la sportive que je remets en cause mais la fédération. En tant que manageuse, je m'interrogerais : "Mais qu'est-ce qu'on a fait pour que la personne n'ait pas envie de venir vers nous ?" Je pense qu'il y a des erreurs qui ont été faites d'un point de vue managérial.
D'où l'intérêt, toutes disciplines confondues, de voir l'émergence de nouveaux entraîneurs et dirigeants au sein des fédérations, femmes et hommes.
Il faut renouveler tout ça. Ca ne veut pas dire écarter les anciens, car ils ont une expérience nécessaire. Il faut mixer les choses. On a besoin des Anciens. En tant que dirigeante, j'ai besoin de ces gens, qui connaissent les rouages, c'est un peu les gardiens du temple, mais il faut qu'ils laissent aussi la place aux autres. Il faut que ces hommes prennent conscience qu'ils ne sont pas seuls au monde, et que dans la société, il y a des gens qui sont d'une autre couleur que blanche, d'un autre sexe que masculin, d'une autre classe d'âge que séniors, et que tout ce monde-là, dans le sport comme dans la société doit s'entremêler et travailler ensemble.
Propos recueillis par Clémence Lacour à Cultura Nîmes pour Tennis Actu
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