Tennis. ITW - Chamalidis : "Kyrgios, hyperdoué et hypersensible"
Par Maxime HUTEAU le 20/10/2016 à 10:18
Vidéo - ATP - Shanghai : Quand Nick Kyrgios balance son match
La sanction infligée à Nick Kyrgios fait couler beaucoup d'encres ces derniers jours. L'Australien a été suspendu du circuit professionnel pour une durée de 8 semaines par l'ATP, et condamné à verser 25 000 $ d'amende pour son comportement général sur le court lors du dernier Masters 1000 de Shanghai, incluant notamment un "manquement à l'obligation de produire ses meilleurs efforts." Les avis divergent dans le monde de la petite balle jaune. Pour mieux comprendre le cas du joueur australien et savoir ce que pourrait lui apporter un soutien médical, la rédaction de Tennis Actu s'est entretenue avec le psychologue du sport Makis Chamalidis *, référent à la Fédération Française de tennis (FFT) depuis 1997.
Makis Chamalidis, on a vu un comportement incroyablement nonchalant de Nick Kyrgios à Shanghai. Approuvez-vous la sanction de l'ATP (2 mois suspension et 25 000 $ d'amende) qui peut être réduite si le joueur consulte un psychologue ?
Dans le sport, il y a des valeurs et du respect à avoir vis-à-vis du public et des autres joueurs. Mais toute sanction n'est bonne que si elle est efficace. Pour moi, la sanction de l'ATP est un deal mal orchestré. Dire à Kyrgios que sa peine peut être réduite s'il va voir un psychologue n'a pas de sens. On lui impose cette démarche, mais c'est au joueur de choisir ou non s'il veut se faire aider par un psy. Dans sa décision, l'ATP a oublié la singularité de ce joueur.
Que vous inspire le cas Nick Kyrgios ?
C'est un joueur qui cultive sa différence aussi bien au niveau de son look que de sa manière de se comporter. Il se fout du regard des autres. Il fait partie des joueurs hyperdoués, mais aussi hypersensibles. Il est tiraillé par deux egos, deux personnalités. Avant de la juger, il faut d'abord comprendre la complexité de sa personnalité.
S'il faisait appel à vous, que feriez-vous pour l'aider ?
Je regarderais déjà d'où vient la demande. Est-ce que c'est l'ATP qui l'envoie ou ça vient-il de lui-même ? La première chose à faire est d'essayer de mettre des mots sur ce qui lui arrive et ensuite trouver des solutions pour qu'il arrive à mieux canaliser son énergie et ses émotions. Le tout sans le juger.
Ce n'est pas un cas désespéré ?
Un joueur comme lui doit être aidé par quelqu'un qui prend bien en compte la personne qu'il est. Il ne va pas changer radicalement, mais on peut l'aider à être un peu plus en paix avec lui-même.
Est-ce un phénomène générationnel ?
Nous ne pouvons pas dissocier ce genre de comportement avec avec ce qui se passe aujourd'hui dans la société. Nous sommes dans l'ère des réseaux sociaux, des portables, de la télé réalité etc... McEnroe et Connors, par exemple, étaient différents car ils n'avaient pas tout ça. Aujourd'hui, les jeunes joueurs sont plus difficiles à encadrer. Certains veulent imposer leur loi mais c'est à l'entraîneur d'imposer son autorité, sans tomber dans l'autoritarisme.
Les joueurs devraient-ils tous avoir un préparateur mental dans leur staff ?
Pas nécessairement. Mais ils peuvent en avoir besoin à un moment précis de leur carrière. Même les meilleurs mondiaux font appel à des psychologues. Ils en ont parfois besoin pour franchir un cap. Beaucoup de joueurs n'ont pas non plus les moyens d'avoir un staff autour d'eux. Pour un jeune joueur qui arrive sur le circuit, un psychologue peut l'aider à mieux se préparer et avoir un comportement d'excellence. Il faut aussi savoir bien s'entourer. Parfois, un adulte sait mieux ce qui peut-être bien ou pas pour le joueur.
[VIDEO] Quand Kyrgios se prend la tête avec le public #ATPextra https://t.co/uEBEOLU3MH https://t.co/uEBEOLU3MH
— beIN SPORTS (@beinsports_FR) 12 octobre 2016
Federer, Agassi, McEnroe, tous ces joueurs ont su canaliser leurs émotions pour atteindre les sommets. Peut-on devenir le meilleur joueur du monde sans se canaliser ?
Ce n'est pas possible. La concurrence est beaucoup plus dense aujourd'hui. Si un joueur est absent pendant trois jeux, il est tout de suite sanctionné et perd le match. Mais il y a aussi des pétages de plomb qui aident. Regardez Djokovic ! Il peut s'énerver après un point et claquer un ace derrière. Un joueur comme lui a la faculté de clore dans sa tête, le point qu'il vient de perdre. Il ne regarde jamais dans le passé. Quand je dis qu'on ne peut pas changer radicalement, il y a quand même une exception : Roger Federer. Il s'énervait très vite au début de sa carrière. Mais il a transformé cet handicap en atout. Parce qu'il est intelligent et qu'il a su bien s'entourer.
Les arbitres ou les organisateurs condamnent très vite le mauvais comportement des joueurs. Mais le tennis a-t-il besoin de "bad boys" pour pimenter les matchs ?
Des bad boys, il y en a dans tous les sports. Le problème dans le tennis, c'est que les joueurs sont seuls sur le terrain et ne peuvent pas être remplacés. Kyrgios est un joueur spectaculaire qui a du caractère. Les gens payent pour aller le voir jouer. Beaucoup disent qu'il faudrait plus de joueurs comme lui, mais au moindre écart, on le sanctionne. C'est antinomique.
Propos recueillis par Maxime Huteau pour Tennis Actu
* Champion de la tête de François Ducasse, avec la collaboration de Makis Chamalidis.