Tennis. ITW/Le Mag - Manon Arcangioli : "Le CNGT... un second souffle pour moi"
Peut-on gagner sa vie grâce au tennis sans évoluer sur les circuits ATP, WTA ou ITF ? Manon Arcangioli en est la preuve. Comme la plupart des joueuses en dehors du Top 100, la Normande, montée jusqu'à la 268e place mondiale, s'est accrochée pendant de nombreuses années sans pouvoir vivre correctement du tennis. Depuis deux ans, la joueuse de 29 ans a trouvé "un second souffle". Ce bol d'air, c'est le circuit CNGT : Circuit National des Grands Tournois. Ces épreuves appartiennent à une catégorie de tournois bénéficiant du label FFT. Elles offrent des points pour le classement français, un classement spécifique CNGT, et surtout des prize money intéressants.
Vidéo - Manon Arcangioli a évoqué les CNGT pour Tennis Actu
Avec des récompenses comprises entre 600 euros et 2000 euros en cas de titre, les CNGT ont permis à Manon Arcangioli de respirer et d'être épanouie. Des sommes loin des dotations de tournois du Grand Chelem, mais qui permettent au moins de "s'en sortir". Pour Tennis Actu, la joueuse de l'US Lillebonne, championne 2023 en CNGT, a accepté de nous présenter ce circuit et de nous détailler son quotidien, loin des tournois ITF en Tunisie, Turquie, ou encore Roumanie. L'occasion également de revenir sur les grands souvenirs de Manon, notamment à Roland-Garros...
"Ça devenait dur financièrement sur les ITF et j’étais seule en tournoi. En CNGT, on s’entend avec tout le monde et c’est plus tranquille. On perd aussi moins d’argent"
Manon, tu viens de sortir de l’Open de Caen, où tu as été battue par la future gagnante, Varvara Gracheva, comment vas-tu après ce passage en Normandie ?
J’ai pu faire un super match. J’étais très contente de mon match. Quand j’arrive sur des grands courts, je n’ai pas l’habitude et j’ai la pression. J’ai toujours peur de prendre une taule devant tout le monde (rires). Finalement, je m’en suis bien sortie et je suis plutôt fière de moi.
Tu n’as plus de classement WTA. Une seule apparition en ITF, dans ta région au Neubourg. En revanche, omniprésence en CNGT avec le gain du classement final 2023 et 28 épreuves jouées. Peux-tu nous expliquer ce qu’est le circuit CNGT ?
C’est le circuit national des grands tournois. Ce sont des tournois Français qui ont lieu souvent les week-ends. On en joue en moyenne deux à trois par mois. On rentre en fonction du classement et ensuite, c’est élimination directe.
À quoi ressemble ton quotidien tourné vers les CNGT ?
J’ai arrêté les ITF, sauf Le Neubourg parce que c’est mon tournoi de cœur, je suis la marraine. Sinon, j’ai arrêté les ITF et je me suis tournée vers les CNGT en octobre 2021. Ça devenait dur financièrement sur les ITF et j’étais seule en tournoi. Ça me pesait. J’ai adoré mes deux années CNGT. On s’entend avec tout le monde et c’est plus tranquille. On perd aussi moins d’argent. Si on fait des bonnes années, on peut s’en sortir.
🎾 La balle de match de Varvara Gracheva (n°43 mondiale), face à Manon Arcangioli issue des qualifs'... Elle file en finale de l'@OpenCaen #Caen pic.twitter.com/2cLuSdJ1UX
— Sportacaen.fr (@sportacaen) December 10, 2023
"Il y a juste le prix du train à payer. Si on passe des tours, on arrive quand même à gagner de l’argent. C’est un second souffle."
Aujourd’hui, ça te permet de bien gagner ta vie et de vivre quand même du tennis ?
C’est un peu mieux. En ITF, il fallait déjà aller en demies ou finale pour rembourser. Généralement, on est pris en charge en CNGT. Il y a juste le prix du train à payer. Si on passe des tours, on arrive quand même à gagner de l’argent. C’est un second souffle.
Combien gagnes-tu concrètement en remportant une épreuve de ce type ?
Ça dépend des catégories : il y a une étoile, deux étoiles, trois étoiles. Ça va d’environ 600 à 2000. Comme on est indépendant, on ne récupère pas ce chèque-là bien sûr. Si on cartonne trois fois dans le mois, c’est sympa. Mais d’autres mois peuvent être plus calmes. Dès qu’on gagne, on peut mettre un peu de côté. Au moins, on gagne un peu d’argent.
Comment fais-tu pour vivre ? Seulement les CNGT ?
Ma principale source de revenu, ce sont les tournois. À côté de ça, je suis coach mental. Je suis deux ou trois joueurs à côté. J’ai également reçu ma certification de conseillère en nutrition. Ce sera une troisième source de revenu quand j’aurais des gens à suivre.
L’idée est de suivre des joueurs pros ?
Non pas forcément. Je veux suivre tout le monde, tant que la personne est motivée.
La page WTA et ITF est définitivement tournée ?
Oui oui ! Je n’ai aucun regret. J’ai fait une liste des petites choses que j’avais réussi à faire. Quand on arrête et qu’on n’a pas atteint nos objectifs, ça peut être difficile. La liste m’a aidée à voir ma carrière d’un autre œil. C’est quand même très bien ce que j’ai fait. C’est une page tournée. J’avais vraiment envie de pouvoir me dire que j’avais fait tout ce que je pouvais. J’aurais pu faire d’autres choix mais si ça s’est passé comme ça, c’est que ça le devait. À la fin, j’étais presque triste, il fallait que je change.
En 2020, tu disais à Tennis Actu que ton rêve était de pouvoir gagner ta vie en tant que joueuse de tennis et donc être Top 80. Finalement, tu as trouvé une alternative qui te permet quand même d’être épanouie ?
Finalement, l’objectif est atteint (sourire). Au moment du Covid, je ne pensais pas trop aux CNGT. Je suis bien plus heureuse maintenant avec les CNGT. Je suis vraiment épanouie. Je suis vraiment bien là.
Tu parlais d’ambiance. La concurrence était trop féroce ?
Peut-être que certaines ne le ressentent pas comme ça, mais moi, je trouvais qu’il y avait de l’animosité. On était très seule. On joue des grosses sommes d’argent. La fille en face est une adversaire. On développe quelque chose de très sombre. J’ai préféré les tournois mixtes où on jouait dans l’accueil de l’hôtel aux cartes. Il n’y a pas trop d’ambiance et c’est froid. Parfois, on se retrouve entre Françaises. Parfois, ce sont des amies, et d’autres seulement des collègues qu’on ne connaît pas. Et tout le monde ne veut pas créer de liens.
"J’aurais adoré voir les quatre tournois du Grand Chelem. J’ai vraiment poussé jusqu’au bout"
Tu as tout de même joué six fois à Roland-Garros, une fois en Grand Tableau. C’est un regret de ne pas avoir pu atteindre le cut qualifs en Grand Chelem et pouvoir jouer les autres tournois du Grand Chelem au moins une fois ?
J’ai réussi à l’accepter mais j’aurais adoré voir les quatre tournois du Grand Chelem. Il m’a manqué 80 points pour jouer les qualifs de l’US Open à un moment donné. J’étais proche et loin à la fois. J’ai fait ce que je pouvais et je n’ai pas réussi, tant pis. Bien sûr, j’aurais aimé jouer les quatre.
Et Roland-Garros ? Quels souvenirs as-tu ?
Je garde surtout celui avec les balles de match. (Roland-Garros 2014, défaite contre Melanie Oudin, 6-3, 3-6, 7-5). Ça a été très dur de perdre mais la défaite m’a apporté. Le moment était ouf. Tout le monde m’encourageait sur le 7. J’avais le public avec moi. J’avais des frissons sur le court.
Et ton pire moment en carrière ?
Un jour, c’était dur. En Roumanie, le jour de mon anniversaire, j’avais perdu. J’étais seule, j’avais perdu, dans un lieu paumé. Le tournoi était nul. C’était très dur. J’ai aussi eu une attente de 11h dans un aéroport en Russie… Ce sont les deux qui me reviennent.
Tu t’es demandée si tu devais arrêter après ces moments-là ?
Oui oui… Le fait d’être seule m’a pesé. 11h d’escale seule, c’est difficile. Il y a des défaites qui font mal, des remises en question… J’avais la sensation de ne pas avoir terminé ce que j’avais à faire et que j’en avais encore sous le pied. J’ai vraiment poussé jusqu’au bout.
Et maintenant ? Tu comptes encore briller sur le circuit CNGT jusqu’à la fin de ta carrière de joueuse ?
Je repars pour une année. Ça me plaît donc je continue. Je me suis refixé l’objectif d’être Top 5. Mon corps suit et je prends du plaisir. Pour le moment, je peux jouer et faire le coaching. La vie fera bien les choses. Quand il faudra tourner la page des courts, on le fera.
Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ?
De m’épanouir autant qu’en 2023 et de réussir ce que j’entreprends.