Tennis. ATP - Benoît Paire : portrait d'un mistral enfin gagnant
Par Clémence LACOUR le 27/07/2015 à 14:56
Il est dans le Midi un vent très particulier que l'on nomme le Mistral. Lecteur, vous le connaissez, ce célèbre vent froid et puissant, parfois capricieux, qui apporte le beau temps quand il ne tourne pas au "noir" pour apporter le mauvais temps et les épisodes cévenols tant redoutés: c'est le Mistral. Benoît Paire, qui a en cet été de bonnes raisons d'afficher un sourire aussi rayonnant que le soleil avignonnais, est pareil à ce vent-là. Celui qui a remporté dimanche son premier titre sur le grand circuit, à Bastad, en a l'accent et la beauté (selon ces dames), le caractère impétueux et les différences d'intensité, les coups de folie et les coups de tonnerre.
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Un style de jeu atypique
A l'heure où le tennis s'aseptise et où les joueurs défensifs ou attaquants de fond de court sont à la fête, il n'est pas prêt de renoncer à son esprit offensif. L'Avignonnais, né en 1989, est un joueur talentueux et célèbre pour son tennis créatif et un peu fou-fou, aussi étonnant que la Tarasque, ce drôle de dragon inventé par les imaginations des habitants de Tarascon, une commune voisine de la ville natale du Tricolore. Amorties splendides, décalages revers improbables, services-volées pétillants, revers qui fusent, coups droits gagnants : Benoît Paire est une tête folle qui aime les variations et ne donne jamais deux fois la même balle à son adversaire grâce à son toucher de balle exceptionnel. C'est vrai, son tennis intermittent, apparaît parfois aussi improbable que le dragon à pattes d'ours, torse de boeuf, dard de scorpion et tête de lion. S'accrocher à une ligne défensive ? Très peu pour lui! Merci! Et puis, de toute façon, il ne fait rien comme les autres.
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Une surface de prédilection: la terre battue
On pourrait penser que ce tennis champagne est l'idéal pour briller sur le gazon, et il le reconnaissait en 2012 à L'Express : "Il prend très bien sur gazon justement, mon jeu! (...) Il s'agit de jouer avec l'adversaire, d'essayer de lui faire des balles qui peuvent le gêner alors que ce ne serait pas le cas sur d'autres surfaces." Comme il n'en est pas à un paradoxe près, il a pris l'herbe en grippe. "Marre de cette surface de merde qui fait mal!!!!", lâche-t-il dans un tweet le 13 juin 2015. Il préfère même aller à Milan jouer sur la terre avant de s'aligner à Wimbledon. L'ocre est sa surface de prédilection car il a le temps de s'organiser, de s'ajuster pour que ses balles aillent où son imagination les guide. Il déclarait ainsi à Simon Alves de Welovetennis, en 2013: "La terre, c'est ma surface. J'ai les réflexes. C’est plus difficile pour moi de passer sur dur, par exemple, j'ai plus de mal à prendre la balle. Alors que, sur terre, non ! Direct, je vais glisser et je vais me sentir bien. C’est plus en termes de physique que c’est moins évident. Les rallies durent un peu plus longtemps."
Une ascension sur courant alternatif
A sa décharge, il faut reconnaître qu'en 2012-2013, il était en pleine bourre et que 2014 a été rude et a mis ses nerfs sensibles à l'ouvrage. Pourtant, sa carrière commençait plutôt pas mal. En 2012, il se hisse au tournoi d'Auckland en quart de finale après être sorti des qualifications et s'être offert le scalp de deux top 50, Juan Carlos Ferrero et Ignacio Chela. Il cède en quart en trois sets puis se hisse ensuite en finale à l'ATP 250 de Belgrade, où il est battu par Pablo Andujar, encore en 3 sets.
2013 a également été un bon cru: premier titre en double à Chennai avec Stan Wawrinka, son "pote" qui le conseille parfois sur le circuit, une première demi-finale en Master's 1000 à Rome et un troisième tour à Roland-Garros. Il accède en août au meilleur classement de sa carrière: il est numéro 24, et alterne encore et toujours entre le soleil et la pluie, avec des défaites précoces à Monte-Carlo, Barcelone, Estoril et Madrid sur terre puis à s'Hertogenbosch et au Queen's où il ne gagne qu'un match en deux tournois. Il finit l'année avec 32 victoire et 30 défaites mais on attend du diamant brut qu'il se polisse, qu'il écorne un peu l'éclat des autres pierres du top 20 avant de rallier le top 10... Voire mieux.
2014 : Ramer contre le mistral noir des galères
La roche des Tarpéiennes n'est hélas jamais loin du Capitole. En 2014, c'est une poisse digne d'un épisode cévenol qui s'abat sur sa tête: constamment blessé au genou gauche, il perd sans cesse et hésite constamment à arrêter sa saison. Lui qui a besoin de confiance est sans arrêt sous le feu des critiques qui lui reprochent ses inconstances et de sa nonchalance. Abandonner, déclarer forfait, perdre, reprendre espoir, perdre de nouveau... et surtout faire avec une douleur incessante: voilà le résumé d'une saison pourrie. Ses 39 défaites pour 10 victoires lui valent une sortie du top 100. Il ne peut même pas bénéficier d'un classement protégé. L'étoile Paire décline.
Sorti par la petite porte, il revient par la fenêtre
Il s'agit alors de se reconstruire, de retrouver le goût de jouer. Il doit avant tout soigner son genou récalcitrant, malade d'une fissure au tendon rotulien et cela réclame plusieurs mois de rééducation. Celui qui n'aimait pas trop l'entraînement doit trouver en lui des ressources pour accepter l'effort et espérer retourner à son meilleur niveau et retrouver un capital confiance durement écorné. Il disait alors: "C'est terrible de redescendre si bas après avoir joué les plus gros tournois. Mais j'avais perdu tous mes repères et je savais que tant que je n'aurais pas gagné un match, même contre un 15/2, je ne me sentirais pas bien."
WORK HARD... PLAY HARD... #reeducation #cers #roro #velo pic.twitter.com/FjP5HKsQFN
— paire benoit (@benoitpaire) 24 Octobre 2014
Avec humilité, il repose les jalons, pierre à pierre, mettant à son profit l'adage latin: "Ad augusta per angusta". Malgré les routes étroites, il cherche le chemin vers les grandes victoires, celles qui font vibrer tous les joueurs de tennis. Il revient sur un Future à Bressuire puis sur des Challengers à Bergame puis à Cherbourg, dans un relatif anonymat. Il déclarait pour le Figaro.fr: "Je pense que cette blessure m'a fait du bien à la tête. Elle m'a permis de revisiter mes erreurs, ces matchs où j'aurais dû me reconcentrer au lieu de m'énerver. Maintenant, je profite de chaque instant, même quand ça ne va pas. J'espère que ça me rendra plus fort. En tout cas, je me sens différent."
.@benoitpaire wint in Bastad: https://t.co/yOCm4vnFWN … #atp
— sportbe (@sportbe) 26 Juillet 2015
En quête d'une certaine perfection
Différent? Vraiment? C'est encore à voir! Chassez le naturel, il revient au galop. Notre fan de foot, et de l'OM, club réputé bouillonnant, a la tête prés du bonnet et le coup de gueule facile. Chacun y va de sa petite anecdote sur sa personnalité atypique: " Je me souviens d’un tournoi à Grasse en 2009 où face à un Russe dix fois moins fort que lui, il faisait n’importe quoi. S’il ratait 15 amorties, il en tentait une 16e. Son attitude peut passer pour un manque de respect de l’adversaire. Ça ne donnait pas envie de faire sa connaissance alors que tout le monde est d’accord pour dire que c’est un type sympa et généreux en dehors des courts. ", raconte à l'Obs Charles-Antoine Brezac, qui l'a croisé sur le circuit Challenger. Et son frère d'ajouter: "C’est un créatif qui adore les beaux coups. Depuis tout petit, il a envie de faire de son tennis un spectacle réussi. Il veut trop bien faire, donner une bonne image à tout le monde et quand il sent que la perfection lui échappe, il ne le supporte pas."
En quête de perfection, le joueur a donc bien du mal à gérer la frustration qui naît forcément du tennis, ce sport de fou qui consiste à taper dans une balle en mouvement, la lever au dessus du filet, la poser dans les lignes et si possible loin de son adversaire... Et qui naît bien sûr de toute activité humaine. Vous conviendrez bien, cher lecteur qu'aux prises avec les failles de l'humain comme nous tous, surtout quand on est joueur de tennis, mais avec sa façon bien à lui de s'agacer, Benoît Paire est une personnalité attachante du circuit ATP.
"Je veux qu'on soit sincère, et qu'en homme d'honneur, On ne lâche aucun mot qui ne parte du coeur"
Trop doué pour être bon élève, notre joueur reçoit souvent des coups de règle sur les doigts. Celui qui avait été qualifié au micro d'RMC Info d'étalon mal dressé" reçoit un premier coup de caveçon lorsqu'il est viré du Centre National d'entraînement par Patrice Hagelauer: "Il perdait trop souvent les pédales sur le court, ça créait des difficultés avec l’encadrement. Il fallait vraiment qu’il se structure. Ce joueur a un don du ciel mais le tennis, c’est aussi la gestion des émotions et ça, il n’y arrivait pas. Un peu comme Federer à ses débuts." Perdre, ce n'est pas du tout son truc, et ce quel que soit le jeu auquel il joue: ça l'énerve.
Et quand Benoît est énervé, ça se sait. Il reçoit d'ailleurs de nombreuses amendes pour ses divers débordements. Celui qui, dans une interview au Télégramme, affirmait que la qualité qu'il préférait chez un homme est l'honnêteté, n'hésite jamais à dire ce qu'il pense. Quitte à fâcher, et à se fâcher avec certains joueurs, comme avec Michaël Llodra, qui a joué avec son caractère impulsif. Il a aussi l'audace de râler contre tout ce qui semble corseter sa liberté, comme ces règles qui régissent le tournoi de Wimbledon: "Quitter Wimbledon, je m'en fous. Ce n'est pas un tournoi que j'aime bien. Tout est pourri ici. Je ne suis pas le seul à penser ça, mais peut-être le seul à le dire" . On ne contrôle décidément pas si facilement le Rhône quand il sort de son lit, et il en est de même avec notre natif du Sud de la France. Ceci dit, l'Avignonnais se sent désormais plus fort mentalement: "Je vois le tennis différemment. Mentalement, je me sens mieux. Quand tu es blessé et que tu ne peux pas bouger, à la maison, et que tu regardes du tennis à la télé, tout ce que tu veux, c'est revenir sur un court" a-t-il déclaré à l'ATP après son sacre à Bastad hier dimanche 26 juillet.
Souhaitons en tout cas à cet amateur de films tristes et de tomates-mozzarella une carrière heureuse et joyeuse. Espérons qu'il fasse sienne la devise de son grand ami Stan Wawrinka: "Ever tried. Ever failed. No matter. Try again. Fail again. Fail better.", c'est à dire: "Déjà essayé. Déjà échoué. Peu importe. Essaie encore. Échoue encore. Échoue mieux."... Et qu'il mette, non Cap au pire comme chez Samuel Beckett, auteur de la sentence, mais, comme son glorieux ami, cap sur les sommets. Bon, nous le dispenserons de porter le short rayé de l'Helvète, sans aller jusqu'à certaines extrémités, ne nous faites pas dire ce que nous n'avons pas dit.
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— MiniPeople.ch (@SwissMinipeople) 1 Juillet 2015