Tennis. Mag - A-t-on le droit d'enfoncer Maria Sharapova ?
Par Clémence LACOUR le 08/03/2017 à 08:22
Maria Sharapova peut-elle légitimement obtenir une wild-card à Roland-Garros et à Wimbledon ? Non, plaide Bernard Giudicelli, arguant que la joueuse n'est pas réhabilitée."C'est compliqué. Nous préférons qu'elle revienne complètement réhabilitée. L'intégrité est l'un de nos engagements forts. On ne peut pas décider, d'un côté, d'augmenter la dotation des fonds dédiés à la lutte anti-dopage et de l'autre... (l'inviter)". Pourquoi estimer que Maria Sharapova n'a pas encore sa place sur le circuit WTA, alors qu'elle a été autorisée à reprendre la compétition par le Tribunal Arbitral du Sport ? La décision du TAS, qui a allégé la suspension de l'ITF n'offre-t-elle qu'une "réhabilitation partielle" ? Bien sûr, la question morale se pose, mais également une question de droit, et de place accordée aux décisions du TAS.
Vidéo - Le jour où la carrière de Sharapova a pris un mauvais tour
Le TAS ? Maria Sharapova lui dit merci
Si Maria Sharapova, contrôlée positive au Meldonium, revient de si bonne heure sur les courts, c'est grâce à une instance juridique : le Tribunal Arbitral du Sport (TAS) puisqu'elle avait auparavant été condamnée plus lourdement par l'ITF. Instance suptrême du tennis, l'ITF en décide les règles, est souveraine dans toutes les questions matérielles et dans la lutte anti-dopage. 200 nations y sont affiliées, et la Russe, logiquement, a dû répondre de son contrôle positif devant elle. Verdict : deux ans de suspension. C'est le tarif. La Tsarine, tout en reconnaissant une faute professionnelle, -elle avait tout de même pris un produit qui venait pourtant d'être classé dopant- est pourtant montée au créneau pour dénoncer une décision partiale, et estime qu'elle a voulu être montrée en exemple. Il faut dire que, peu après, c'est carrément la Russie tout entière qui sera soupçonnée de dopage d'Etat. Toute ? Peut-être pas, mais tout au moins, outre l'ancienne n°1 mondiale, et toute l'équipe d'athlétisme. Le Gouvernement Russe monte lui-même au créneau pour soutenir la joueuse... Bref, à l'époque des faits, l'affaire s'envenime, Sharapova trouvant le prix un poil trop salé. Ulcérée d'être reléguée dans une Sibérie du tennis, en conflit avec "sa" fédération, elle avait alors fait appel au Tribunal International du sport, qui avait réduit sa suspension à 15 mois. "Les membres de la commission d'arbitrage qui m'avaient auditionnée avaient été choisis par l'ITF. Ce n'est pas gage de neutralité à mes yeux, a-t-elle regretté. Je suis allée à cette audition en sachant que les gens à qui j'allais parler avaient été choisis par ceux avec qui j'avais un différend. (...) Le TAS, lui, est une instance neutre". avait-elle asséné à la chaîne PBS après la décision dudit TAS.
Le TAS et la protection des droits fondamentaux des athlètes
Mais que venait faire le TAS dans cette affaire ? Sorte de "Cour suprême du sport mondial", c'est lui, qui "a fréquemment à connaître des litiges dans lesquels sont en jeu des droits fondamentaux des athlètes" rappelle Mathieu Maisonneuve, professeur de Droit, et auteur d'un article intitulé Le Tribunal du Sport et les droits fondamentaux des athlètes publié dans La Revue des Droits et Libertés fondamentaux. Il s'agit en fait d'une instance purement judiciaire. Y sont jugées des affaires concernant tous les sportifs, quelle que soit leur discipline, et quelle que soit leur nationalité. Il est sensé être absolument impartial et jugé de l'acte selon une interprétation stricte de la loi. Créé par le Comité international olympique (CIO), il a été imposé par les institutions sportives pour, rappelle Mathieu Maisonneuve, "éviter les interventions des juridictions étatiques, perçues comme des ingérences inopportunes et comme porteuses d’éclatement du contentieux sportif international". Autrement dit il visait avant tout à ménager l’autonomie des institutions sportives et à protéger l’égalité des compétiteurs devant la justice. Le TAS s'est petit à petit imposé comme une "Cour suprême du sport mondial ", et protège autant que faire se peut " l’intérêt général sportif". Indépendant, il se doit de protéger les athlètes des ingérences et manipulations diverses des Fédérations et des Etats. Mais quels sont les droits d'un athlète ? Mathieu Maisonneuve en énumère quelques uns : la liberté de circulation, respect de la vie privée, principe d’égalité, droit au travail, à la libre disposition de son corps, à la liberté d’expression, de religion, d’entreprendre, ou même du droit à la pratique d’une activité sportive. A ces droits fondamentaux s'ajoutent d'autres acquis, comme la présomption d’innocence, le principe de responsabilité personnelle, le principe de légalité des délits et des peines, le principe non bis in idem -c'est à dire le fait de pas être puni deux fois pour la même chose- ou bien encore le respect des droits de la défense, comme celui d'être entendu. Ce sont ces droits que Maria Sharapova avait pu faire valoir face au TAS contre l'ITF. Lorsqu'elle sera revenue de suspension peut-elle se retrouver à nouveau punie pour le même fait, cette fameuse prise de Meldonium ? Doit-elle bénéficier d'une "absolution", ou, au contraire, faut-il considérer qu'elle est dans une sorte de "période probatoire" ? En d'autre termes, est-il légitime de lui refuser une wild card sur un grand tournoi en invoquant sa faute passée ? La question est-celle-ci : empêcher Maria Sharapova de jouer certains tournois, est-ce lui retirer certains de ses droits fondamentaux ? Bien sûr, nous exagérons ici le trait : le non octroi d'une invitation n'est pas une interdiction de jouer... Mais continuons notre raisonnement.
Le TAS est-il trop gentil avec les athlètes ?
Prendre appui sur l'idée que Sharapova n'est pas "pleinement réahabilitée" n'est-ce pas aussi suggérer que le TAS est trop complaisant envers les athlètes. Alors, le TAS a-t-il tendance à être plus clément envers les athlètes que les Fédérations ? Arbitre-t-il plus souvent en faveur de l'athlète, au détriment de ces mêmes Fédérations ? Mathieu Maisonneuve a anlysé ses décisions. Il relève que, parfois, cela dépendu du sport. Il indique qu'une formation arbitrale estimait ainsi : "le cyclisme professionnel a besoin actuellement de mesures fortes pour préserver son image et pour pouvoir combattre encore plus efficacement le fléau bien réel du dopage. Cela dit, il faut se garder d’ouvrir trop de brèches dans les droits fondamentaux qui protègent nos valeurs essentielles". Alors, a-t-on plus de chance de pouvoir revenir sereinement d'une suspension pour dopage si l'on est une joueuse de tennis que si l'on est cycliste professionnel ? Si, parfois, les sanctions prises paraissent sévères en regard des faits commis -comme cette suspension collective de tous les athlètes russes sur des soupçons, certes largement étayés, de dopage généralisés, il apparaît tout de même qu'il y a globalement une "logique d’équilibre entre les intérêts généraux sportifs et les droits individuels des athlètes sur le fond passe ainsi par l’utilisation d’une méthode juridique universaliste adaptée au caractère transnational du sport." On ne peut donc pas penser qu'elle ait bénéficié d'une particulière bienveillance de la part du TAS. Pour ce qui est de l'invitation à Roland-Garros et Wimbledon, la question reste pour autant entière, puisque c'est laissé à la discrétion des organisateurs... Qui peuvent l'octroyer sans justification à une joueur ou une joueuse plutôt qu'à une autre. La décision pourrait alors être plus morale que juridique. "Les organisateurs peuvent accorder des wild cards pour des motifs divers : intégrer des joueurs locaux, de jeunes joueurs prometteurs, des joueurs dont le classement est médiocre mais qui furent de top players ou encore en vertu d' accords entre des Fédérations" précise le règlement de l'ITF. Sur le plan de la morale et de l'éthique, la question reste donc épineuse. Le principe voudrait en effet à la fois qu'on puisse accorder le pardon à une joueuse qui a purgé sa peine... Mais les dents grincent, puisque le dopage, comme les matchs truqués, fait partie des affaires qui peuvent apporter le discrédit sur le sport. La FFT va donc devoir trancher entre des considérations économiques, juridiques et morales. Si Bernard Giudicelli pourrait, comme il le fit naguère sur une autre affaire décider "une amnistie générale pour tous les faits constatés", la FFT peut aussi décider d'octroyer la wild-card à une joueuse moins médiatique mais "plus méritante".
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