Tennis. WTA - Bouchard - Sharapova : une "guerre froide 2.0" ?
Par Thibault KARMALY le 09/05/2017 à 21:03
Peut-on aller jusqu'à parler de "guerre froide" pour caractériser le climat qui règne sur la WTA depuis le retour de Maria Sharapova sur le circuit à Stuttgart fin avril ? La Russe revient après avoir été suspendue quinze mois après un contrôle antidopage positif au Meldonium lors de l’Open d’Australie 2016 et elle a reçu un accueil glacial. Mais pourquoi évoquer une "Guerre froide" ? Tout simplement parce que, entre "guerre des mots" et "guerre de l’image", deux conceptions du sport s’affrontent au gré de déclarations médiatiques pour emporter l’opinion. Il y a les "pour", il y a les "contre."
Vidéo - Bouchard : "Une motivation supplémentaire contre Sharapova"
Sans tomber dans la caricature, il y a les tenants d’une conception morale et éthique, face aux tenants d’une vision pro-business du sport qui s'affrontent. L'enjeu est aussi géopolitique dans un contexte où le sport russe fait régulièrement l'objet de scandales liés au dopage. Une "guerre d'influence" qui semble nourrir la "bataille du 'soft power'" à l'échelle internationale. Autrement dit, le sport utilisé comme "moyen d'influence" par un État, à travers le rayonnement de ses athlètes face à ses concurrents internationaux. Une bataille de l'image remise au goût du jour dans le sport, matérialisée désormais par épisodes sur les courts de tennis du monde entier. En témoignent les deux dernières batailles qu’ont livrées Kristina Mladenovic (3-6, 7-5, 6-4) à Stuttgart le 29 avril et Eugenie Bouchard à Madrid (7-5, 2-6, 6-4) ce lundi 8 mai pour éliminer la Russe, qui bénéficiait à chaque fois d’une wild-card pour participer à ces deux tournois. Point commun entre les deux joueuses française et canadienne : elles avaient clairement et publiquement pris position contre le retour de Maria Sharapova, chacune la qualifiant notamment de "tricheuse" avant de l’affronter. Aux paroles hostiles, se sont alors ajoutés les actes : une grande détermination pour battre la Russe avec dans les deux cas une victoire en trois manches après un hargneux combat. Interrogée à Madrid à l'issue de sa victoire (vidéo ci-dessous), Eugenie Bouchard en a remis une couche. La Canadienne a avoué qu'elle avait reçu "de nombreux textos et soutiens de joueurs, joueuses, directeurs de tournois", ce qui l'avait "inspirée et motivée encore plus", comme elle l'a confié au micro de Tennis Actu.
Une nouvelle "guerre des étoiles" autour des tournois du Grand Chelem ?
C'est donc désormais officiel : le camp des "anti-Sharapova" a massivement encouragé Eugenie Bouchard pour battre la Russe, par textos ou par médias interposés. "Elle a pris pendant dix ans un truc grave en précisant en plus qu'elle n'était même pas malade. Elle s'est amusée à jouer avec les limites. C'est décevant, je n'aime pas cette mentalité, d'essayer d'être meilleure en contournant. Je la respectais pour sa carrière, pas pour la personne qu'elle est parce qu'elle n'était pas polie ni très agréable. Je suis un peu dure, mais on le pense tous et on le dit tous, ici, que c'est une tricheuse. Tu te dis que ce n'est pas une championne : elle a triché. Tu doutes et tu te dis qu'elle ne mérite pas tout ce qu'elle a gagné", avait notamment déclaré Kristina Mladenovic le 13 mars dernier dans les colonnes du journal Le Parisien. Des déclarations sur lesquelles se sont superposées celles de la Canadienne avant d’affronter Maria Sharapova à Madrid. "Pour moi, ce n'est pas juste pour les autres joueurs qui respectent les règles. Elle a triché, et selon moi, peu importe le sport, les athlètes qui trichent ne devraient pas pouvoir pratiquer à nouveau leur sport. La WTA envoie un mauvais message aux jeunes : ‘Trichez, et on vous accueillera les bras ouverts.’ Ce n'est pas juste, et elle n'est plus quelqu'un que j'admire. Ça a gâché l'image que j'avais d'elle", avait ainsi lancé Eugenie Bouchard le 26 avril sur TRT World (vidéo ci-dessous).
La question qui cristallise peut-être le plus cette bataille de l'image est probablement celle de savoir si Maria Sharapova doit bénéficier ou non d’une wild-card pour participer à Roland-Garros, question qui se pose également pour Wimbledon. La Russe mérite-t-elle un tel passe-droit ? L’attraction et le potentiel commercial qu’elle génère, surtout en l’absence de Serena Williams, enceinte, est-elle indispensable aux tableaux féminins des tournois du Grand Chelem ? Les quatre Majeurs, événements internationaux exposés à l’échelle mondiale, doivent-ils considérer qu’une athlète qui revient de suspension pour dopage ne peut pas bénéficier d’une invitation et doit au contraire "mériter sportivement" son retour ? Dans ce climat où les tensions sont vives, deux camps s’opposent et lorsqu’on dresse une liste des "pour" et des "contre", on s’aperçoit que deux blocs totalement opposés semblent se dessiner. "Tout d'abord, je tiens à dire que Maria est une grande championne, et même cette "erreur étrange" ne sera pas en mesure de surpasser tout ce qu'elle a accompli dans le tennis. Et surtout, aucun d'entre nous, surtout moi, n'a le droit de commenter cette histoire, ni de critiquer ou juger Maria", avait ainsi déclaré Svetlana Kuznetsova sur Twitter suite à la suspension de sa compatriote.
WTA - Madrid 2017 - Eugenie Bouchard : "Sharapova est une tricheuse"
Le camp britannique s'agite sur la question d'une wild-card à Wimbledon
"Je dois être franc et admettre que je ne lis pas tous les messages qui viennent de l'agence antidopage. Mon équipe le fait pour moi. S'il y a des changements importants dans la réglementation dont je dois être informé, j'en suis informé. C'est difficile de blâmer qui que ce soit en cette affaire, je sais que certaines substances ont été mises sur la liste des produits interdits récemment, ça pourrait arriver à de nombreux joueurs, si c'est juste un cas de négligence de la part de Maria et de son équipe. Il faudrait peut-être que la communication entre l'agence mondiale antidopage et les joueurs soit améliorée", avait quant à lui déclaré Novak Djokovic, avant de lui souhaiter "évidemment tout le meilleur. Je la connais depuis longtemps et je suis peiné par tout ce qui lui arrive. J'espère juste qu'elle va en sortir plus forte", quelques jours plus tard à Los Angeles. D’autres athlètes ont clairement pris position en faveur de Maria Sharapova : Flavia Pennetta, Martina Navratilova, Garbiñe Muguruza ou encore Marion Bartoli.
En face, Kiki Mladenovic et Eugenie Bouchard ont rejoint la position qu’adopte Andy Murray depuis un certain temps, lui qui exprime publiquement l’un des avis les plus sceptiques sur Sharapova depuis l’annonce de la suspension de la Russe, et qui n’a pas hésité à en remettre une couche sur la question de savoir si elle doit ou non bénéficier d’une wild-card pour Wimbledon. "Je pense que vous devriez vraiment travailler pour revenir. Cependant, la majorité des tournois vont faire ce qu'ils jugent le mieux pour leur événement. S'ils pensent qu'avoir de grands noms, va leur permettre de vendre plus de tickets, alors ils vont le faire", avait notamment déclaré le numéro un mondial dans les colonnes du quotidien The Times début mars dernier, avant de donner d’inciter l’organisation de Wimbledon à ne pas lui offrir une wild-card. "Elle a l'opportunité d'améliorer son classement d'ici-là et elle pourrait ne pas avoir besoin de wild-card. Mais si ce n'est pas le cas, ce sera aux organisateurs de Wimbledon de décider. Je suis sûr qu'ils vont longuement y réfléchir, qu'ils vont se demander ce que les gens vont en penser, et qu'ils vont prendre ce qui est pour eux la meilleure décision." D’autres personnalités ont clairement pris position contre la Russe : Justine Henin, Jennifer Capriati, Kim Clijsters ou encore Judy Murray. D'autres athlètes et anciens athlètes ont choisi d'adopter une position "non-alignée", préférant distribuer à la fois la caresse et la claque à la Russe : c'est notamment le cas de Serena Williams, Boris Becker ou encore Elina Svitolina (vidéo ci-dessous).
Elina Svitolina sur Maria Sharapova pour Tennis Actu : "Elle mérite au moins quelques wild-cards"
Une bataille de l'image qui profite ... à Nike
La planète tennis, qui s’est déjà divisée en deux au moment de la suspension de Sharapova, continue donc plus que jamais d’être clivée. Concernant Roland-Garros une seule chose est sûre, la décision sera prise le 15 mai prochain et annoncée le 16 mai lors d’un Facebook Live à 19h00 par le président de la Fédération française de tennis (FFT), Bernard Giudicelli, comme il l’a annoncé lui même au côté de Guy Forget, directeur du Grand Chelem parisien, en conférence de presse sous la tribune du court Philippe-Chatrier fin avril (vidéo ci-dessous). Concernant Wimbledon, les organisateurs annonceront leur décision le 20 juin prochain. En cas de présence de Maria Sharapova à Paris et/ou Londres, de nouveaux épisodes de ce qui ressemble à une "guerre froide 2.0" nourriront assurément l’appétit de millions de fans dans le monde… Et ce n'est pas Nike, sponsor officiel de Maria Sharapova et ... d'Eugénie Bouchard, qui dira le contraire.
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