Tennis. Mag - À quand un Roger Federer ou un Nadal en Chine ?
Par Clémence LACOUR le 17/03/2017 à 15:11
Mais où est passé le tennis chinois de haut niveau ? Alors que la Chine présente tous les quatre ans plus de 2700 athlètes aux Jeux Olympiques en été et rapporte, bon an, mal entre 88 (Londres - 2012) et 100 médailles 2008) , côté tennis, ce n'est pas le désert absolu, mais pas loin tout de même. Chez les hommes, c'est pour le moins la savane: le joueur le mieux classé est 171e, chez les filles, c'est la garrigue : on compte quelques unes dans le top 50, 4 dans le top 100. Les exploits de Na Li, vainqueure de Grand Chelem et ancienne n°2 mondiale, ne semblent pas avoir amené d'autres joueurs vers le haut niveau. Autrement dit, la population chinoise est gigantesque, l'économie est en plein boom, la Chine compte des compétitions internationales renommées, à Pékin, Chengdu et à Wuhan notamment, mais, depuis l'ancienne n°1 mondiale, il n'y a plus de grande tête d'affiche. Pour comprendre ce paradoxe chinois, Tennis Actu a demandé à Ezra Stump, Français "exilé" à Wuhan, ses éclaircissements. Passé par la HDN Academy (Nîmes), il a été coach privé pendant un temps, avant de travailler pour Asics et d'être recruté par Province de Hubei. A Wuhan il entraîne notamment l'équipe première filles dans un immense centre olympique. L'une de ses meilleures joueuses, coachée aussi par Guillaume Peyre, Kai-Lin Zhang, pointe cette semaine autour de la 110e place mondiale (120e).
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Un système très différent... Et confortable
Si chez nous, en Europe, les joueurs hors top 100 ont bien du mal à joindre les deux bouts, entre une ITF, un Challenger et des compétitions Interclubs, ce n'est pas du tout le cas des joueurs chinois. Et pour cause, explique Ezra Stump, ils sont payés... par les Provinces pour jouer des compétitions nationales et inter-provinces. "Pour comprendre le tennis chinois, il faut comprendre que c'est un système basé sur l'intérieur du pays. Les compétitions nationales sont beaucoup plus importantes que les compétitions internationales, et notamment les inter-provinces avec certaines, comme la mienne qui sont très importantes et très riches". Tous les ans, pour les Jeux Chinois, les équipes se retrouvent en un lieu avec un tableau de simple et un tableau par équipe, et un très grand rendez-vous a lieu tous les quatre ans, et à ce moment-là, si les joueurs et les coachs remportent une médaille, c'est la gloire assurée. "Il y a beaucoup d'argent en jeu, des sommes très importantes, et c'est là que va se décider l'avenir de plein de joueurs et joueuses". Ces Jeux, qui vont avoir lieu en juin et août prochains sont le grand objectif de la saison pour tout le monde. La petite équipe des trois Français dont fait partie Ezra Stump avait pour mission de relever l'équipe de la province. C'est chose faite, et le but est de se hisser en demies voire enfinale pour obtenir une médaille.
Pour eux ainsi que pour ces "salariés du tennis", comme les nomme le Français, c'est LE moment où il faut briller et donner un bon coup de collier. Le reste du temps, on s'entraîne vaguement. La chose est claire : "Pour bien gagner sa vie en Chine, il n'y a pas besoin d'aller sur le circuit ATP et WTA". Soyez un bon joueur de tennis chinois, et vous n'aurez pas à payer votre coach, votre kiné ni même vos déplacements. Les sacrifices concédés par les familles ? Les 30.000 euros de frais qu'une saison coûte ? Vous oubliez. En Chine, c'est la Province qui vous finance, comme un club de foot le ferait en France et dans d'autres pays européens. Du coup, les joueurs chinois, surtout masculins, cherchent peu à percer sur le circuit international... Trop peu rentable. Mieux vaut jouer sur le circuit national : "le joueur chinois, qu'il gagne ou qu'il perde, c'est la même chose, comme un joueur de foot. Il est salarié". Le problème, relève Ezra Stump, c'est que la confrontation entre joueurs de plusieurs nationalités, et cette obligation de jouer beaucoup et le mieux possible pour gagner sa vie entretiennent l'ambition. Les joueurs Chinois, eux, préfèrent rester dans le confort : "Ils sont comme fonctionnarisés. Ils viennent, ils pointent, ils font leurs trois heures d'entraînement et voilà", se désole-t-il. Il faut dire aussi que sortir sur le circuit international n'est pas si aisé.
Le Gouvernement doit donner son accord, il doit obtenir son visa. Autrement dit, c'est compliqué : "Quand tu joues pour la Province, c'est compliqué. Tu appartiens à la Province. Si elle ne veut pas que tu sortes, tu ne sors pas ". Conclusion : "C'est confortable, mais ça restreint les ambitions". En tant que coach, le Français doit se battre pour que les joueurs et joueuses de son centre ne se laissent pas aller à l'endormissement, et fournissent à l'entraînement les efforts nécessaires, avec une intensité permettant réellement de progresser. Ils se voient octroyer des wild-cards pour les tournois de Wuhan ou le China Open et en sont heureux, mais cela n'est qu'une petite cerise : ils n'ont pas besoin de l'ATP ni de la WTA pour vivre. Auréolés rapidement, vers 18 ans, de jolis contrats de 8 ou 12 ans avec des Provinces, les joueurs et joueuses préfèrent être top 300, garder un niveau -15, plut�'t que de se retrouver sur les routes des circuits internationaux, avec toute l'instabilité matérielle et mentale que cela suppose. Les arbitres de ces grandes compétitions nationales sont également Chinois et sont susceptibles de prêter main forte à ceux de l'ITF lors des grands tournois internationaux.
Un potentiel incroyable côté tennis féminin, des infrastructures dantesques
Le système de compétitions ne permet pas l'éclosion de personnalités fortes et compétitrices, mais il n'en demeure pas moins que le potentiel est énorme. Ezra Stump en est sûr : 'S'ils changent cette politique et s'ouvrent à l'international, pour moi, en très peu de temps, il y aura 20 filles chinoises dans le top 100. Ce sera comme lorsque les pays de l'Est ont débarqué. Il y a plein de joueuses pétries de qualités, très athlétiques (...) Elles sont robustes : elles peuvent s'entraîner longtemps sans aucune blessure". Grandes, entre 1,78 et 1,80, déjà à 14 ans ce groupe de très jeunes joueuses ont toutes l'envergure idéale pour pratiquer le tennis de haut niveau "Elles sont hyper sérieuses, hyper talentueuses, très travailleuses. C'est un plaisir de les entraîner". D'ailleurs, sur son temps libre, il continue à aller les coacher, même s'il est désormais affecté à l'équipe 1 afin de gagner une médaille, le Graal pour tout le monde, joueuses et coach. Mais attention, on parle bien ici du potentiel des joueuses, donc, et non des joueurs.
Même si les généralités ont leur part de mensonge, force est en effet de constater que ce sont surtout les filles qui semblent les plus prêtes à percer au plus haut niveau : "Les garçons sont souvent plus fainéants" estime-t-il. 'Ils s'entraînent très dur, mais, plus que les filles, une fois qu'ils ont signé un bon contrat, ils tombent dans une sorte d'endormissement. C'est un constat général et injuste, mais les filles sont plus bosseuses que les garçons, c'est un constat que tous les coachs font ici." Les moyens matériels mis à la disposition des joueurs sont à l'égal de leur potentiel : immenses. La structure d'entraînement où Ezra Stump est employé, qui se situe dans ce centre olympique regroupe plusieurs sportifs,et aurait de quoi faire rêver plus d'un entraîneur occidental : 'C'est pharaonique". L'une des plus grosses structures de tennis en Asie" : une vingtaine de terrains extérieurs, 4 terrains couverts en dur situés au deuxième étage d'un bâtiment encore plus vaste, 'une salle de msucu qui fait la surface de trois terrains de tennis », 4 terrains couverts en terre battue, un central de 15000 places couvertes, et deux autres centraux de 8000 et 4000 places... d'ailleurs jamais remplies, même lors du grand tournoi Premier 5 de Wuhan, remporté en 2016 par Dominika Cibulkova. Incroyable, mais visiblement pas inhabituel : "Dans toutes les provinces un peu riches, il y a des structures fantastiques, des clubs somptueux", assure le Français. Le centre olympique où il officie est une ville véritable : s'y entraînent 4000 athlètes tous sports confondus, et il y a une école et un h�'pital.
La formation : le point noir du tennis en Chine
Le problème auquel se heurtent ces jeunes joueuses, c'est, outre la barrière mentale du trop grand confort, celle de la formation. Les premiers entraîneurs étant mal formés, elles le sont tout autant. Le mental, la tactique, la technique, tout cela, elles ne l'apprennent pas dès leur plus jeune âge comme un petit européen, elles ne l'acquièrent qu'auprès de ces entraîneurs recrutés qui en France, qui en Espagne, qui dans un autre pays de tennis. Le mini tennis ? Inconnu au bataillon. Les entraîneurs locaux ne sont pas du tout formés, et, visiblement, la province ne se presse pas pour faire des formations accélérées grâce aux enseignants recrutés aux quatre coins de l'Europe. La vision court-termiste prédomine. "Tout le monde chasse la même échalote : la médaille aux Jeux Chinois" insiste Ezra Stump. La place laissée à l'innovation et à la créativité est faible, puisqu'un responsable de province est assuré de garder son poste 4 ans s'il a un bon résultat lors de cette grand messe du tennis chinois. Former de bons entraîneurs pour former de bons jeunes ne fait pas parte de leurs préoccupations. L'argent n'est pas consacré à la formation de coachs mais au recrutement des meilleurs entraîneurs et des meilleurs joueurs.
C�'té éducation, ce n'est pas non plus le pied.Jusqu'à 2017, ces jeunes garçons et filles, âgés d'une douzaine d'années, ne bénéficiaient d'aucun système éducatif ni de ce qui va avec : les vacances scolaires. Elles consacrent tout leur temps au tennis. À l'instar des petites gymnastes, et ne font que jouer, sans vacances ni repos. "Quand je suis arrivé, je ne le savais pas. J'avais de jeunes joueuses, entre 12 et 14 ans, et je les entraînais 6 heures par jour, ce qu'en France on ne me laisserait pas faire. Je me suis fait piéger, car je pensais qu'à un moment donné, elles auraient des vacances, mais non. Même à 12ans, elles sont sous le contr�'le de la Province. Si le boss de la province dit qu'il n'y a pas de repos, il n'y a pas de repos. Il y a des dimanches, mais 0 semaine de repos". Depuis février 2017, à la demande des coachs et des parents, les choses ont cependant changé : les jeunes joueuses vont à l'école trois ou quatre matinées par semaine, et peuvent ainsi recevoir une éducation. Jusqu'alors, seules celles issues de familles plus favorisées pouvaient faire venir des enseignants pour apprendre l'anglais, bien utile pour échanger avec leurs coachs étrangers. Cette nouveauté, pense celui qui est passé par la HDN Academy de Nîmes, pourrait créer une demande et faire que des structures type tennis étude pourraient se multiplier sur le sol chinois.
Une ouverture vers le monde ?
Le tennis chinois fonctionne en vase clos, on l'aura compris. Aux Petits As, pourtant, on a pu suivre une joueuse de là-bas, Yao Xinxin. "Si c'est bien celle à laquelle je pense, ce n'est pas un grand espoir chinois" tempère Ezra Stump. 'Elle a un joli petit tennis d'enfant, elle est régulière et plus mature que d'autres, mais pour l'avenir, ça ne le fera pas". Si cette jeune fille a pu participer à la compétition paloise, c'est qu'elle est aussi soutenue par Nike, qui cherche de jeunes joueurs à sponsoriser, dans l'espoir de faire signer une future Na Li. S'ils ont choisi cette jeune fille, c'est qu'elle offre des garanties au niveau des résultats, qu'elle vient d'une province plus ouverte, et que sa famille soutient son projet. Elle n'est pas la plus talentueuse, et de loin, mais elle semble vouloir sortir de son pays... Encore que. Ce n'est pas tant le tennis qui vient au monde, que le monde qui vient au tennis chinois. Le marché, en effet est pour le moins attractif. Pensez donc : chaque ville ou presque a son équipe, chaque district a sa compétition. Tous les enfants des magnats locaux peuvent concourir et aiment jouer à ce sport à la mode. Sur 1,357 milliard d'habitants, ça commence à faire du monde.
Selon un article de Marketing Chine en date de 2013, le gouvernement chinois a estimé que plus de 14 millions de joueurs amateurs et professionnels pratiquent le tennis sur les quelques 30 000 cours de tennis recensés. Tom Cannon, expert dans la finance des sports et professeur à l’Université de Liverpool, cité par cet article de Marketing China est formel : ce nouveau secteur générait 4 milliards de dollars chaque année. Un beau gâteau, sur lequel Nike, se taille la part du lion "Les joueurs Chinois ne jurent que par Nike" s'amuse Ezra Stump, qui a travaillé pour Asics et est arrivé en Chine par cet intermédiaire-là : "On essaye de développer un peu Asics aussi". C�'té raquettes, c'est Babolat, autre sponsor de Na Li, qui mène le peloton même si on peut relever la présence, plus épisodique, de Head, Yonex, ou encore Wilson. Les cordages sont fabriqués par ces mêmes marques, ou d'autres marques, chinoises celles-ci.
Le tennis chinois va-t-il bient�'t débarquer sur le monde ATP et WTA ? Pour l'heure, le potentiel est bel et bien là, les moyens matériels aussi. Reste à accomplir une révolution des esprits, et à pousser à la formations des coachs, mais aussi des joueurs et des joueuses. Le marché économique, lui, en salive d'avance.