Tennis. Roland-Garros - Il y a 31 ans, Michael Chang s'offrait Roland-Garros
Par Aude MAZ le 11/06/2020 à 17:20
En cette deuxième quinzaine de mai, il règne - crise sanitaire oblige - une atmosphère bizarre autour du stade Roland-Garros. Une impression de vide absolu. Habituellement, le quartier est bouclé, l'effervescence est palpable, les vrais amateurs de tennis sont au bord des courts. L'édition 2020 des Internationaux de France devait se dérouler du 24 mai au 7 juin sous le soleil parisien. Pour tenter de combler ce vide, Tennis Actu décide de regarder "Dans le rétro de Marc Maury" pour vous présenter durant la quinzaine un évènement qui a marqué l'histoire du Grand Chelem français. Pour cette quatrième chronique de la série "Roland-Garros - Dans le Rétro de Marc Maury", retour sur le jour, ou Michaël Chang, 17 ans et trois mois, a rendu fou Ivan Lendl, avant de devenir, quelques jour plus tard, le plus jeune lauréat du tournoi.
Vidéo - Roland-Garros - Dans le Rétro de Marc Maury !
"Je n'ai servi à la cuillère qu'une fois dans ma vie" dira Michael Chang des années plus tard. Mais quel culot, il a eu ce 5 juin 1989, en huitième de finale face à Ivan Lendl, lorsque perclus de crampes, incapable de servir à plus de 120 km/h, pris d’une inspiration subite, le jeune joueur a surpris tout le monde, en servant à la cuillère. Il ne le savait pas encore, mais il venait, en plus d’écrire l’histoire du tennis, de s’ouvrir la voie vers le titre, acquis un peu moins d’une semaine plus tard, face à Stefan Edberg. À 17 ans et 3 mois, il devint alors le plus jeune vainqueur de Roland-Garros, pas même détrôné par le mutant, Rafael Nadal, qui avait "déjà" 18 ans, lorsqu’il a foulé la première fois la terre battue parisienne.
Un huitième de finale historique face à Ivan Lendl
Ce lundi 5 juin 1989, Ivan Lendl, numéro 1 mondial et trois fois vainqueur de Roland-Garros, est le grand favori face au jeune Michael Chang, qui joue son deuxième tournoi Porte d’Auteuil. Le public parisien, qui n’apprécie pas particulièrement la personnalité réputée froide du Tchèque, ne s’attend tout de même pas à ce qui va suivre. Le début de match ne surprend personne, le joueur européen impose sa puissance à un Américain un peu dépassé et remporte les deux premiers sets 6-4, 6-4. Il break même d’entrée dans le troisième set. Le plus jeune des deux joueurs sent alors qu’il doit prendre plus de risques. Lendl est alors régulièrement débordé par ses revers long de ligne. Chang empoche alors le troisième set 6-3 devant une foule conquise. Mais le jeune homme n’a pas encore l’amplitude physique de son ainé et commence à avoir des crampes. Aux changements de côté, Chang tente de s’hydrater abondamment pour tenir.
L'ultime coup de poker de Michael Chang
Pour récupérer, l’Américain arrondit ses trajectoires et ralentit les échanges, ce qui a le don d’agacer son adversaire, d’ordinaire si placide. Au courage Chang, prend les devants dans le dernier set. À 4-3, le 19e mondial, mené 15-30 sur sa mise en jeu, il tente alors un improbable service à la cuillère qui déstabilise totalement Lendl. Le public est sous le choc. Le Tchèque perd un peu ses nerfs et donc le jeu. Alors qu'il mène 5-3, le natif du New Jersey, continue d’embrouiller son adversaire et se procure deux balles de match. Le joueur d'Ostrava rate son premier service. Chang tente alors un ultime coup de poker. L'Américain avance dans le court et se place très près de la ligne de carré de service. Au bord de l’implosion, Lendl fait alors une double faute fatale. Après 4h39 de jeu, le joueur de 17 ans, peut laisser éclater sa joie et s'écroule au sol.
Michael Chang entre définitivement dans l'histoire face à Stefan Edberg
Ce match, beaucoup s'en souviennent comme étant la finale. Mais en battant le n°1 mondial, l’Américain s’est "simplement" offert, un quart de finale. La route est encore longue jusqu’au titre. En revanche, il s’est ouvert le tableau. En effet, il ne rencontrera plus de têtes de série jusqu'en finale. En quart, il se défait de Ronald Agenor, 30e mondial, en quatre sets, puis Andrei Chesnokov, 27e, en demi, également en quatre manches. En finale, il retrouve Stefan Edberg, alors 3e mondial, qui a profité d'un climat sec, plus favorable aux attaquants sur la terre battue parisienne. En quart de finale, le Suédois éteint Alberto Mancini, tête de série n°11, pourtant récent vainqueur de Monte Carlo et de Rome. En demi, il sort vainqueur d’un gros duel face à Boris Becker, tête de série n°2 du tournoi. Il atteint ainsi pour la première et dernière fois la finale aux internationaux de France. C’est donc à un duel inattendu que va assister le public parisien en finale.
17 ans et 3 mois son premier et unique tournoi du Grand Chelem
Michael Chang entre mieux dans la partie que son homologue suédois, pétrifié par l’enjeu, et s’impose facilement 6-1 dans la première manche. Le Suédois change alors de tactique, et déploie un jeu très agressif. Il enchaîne 7 jeux consécutifs et mène finalement 1-6, 6-3, 6-4, 4-4. La victoire lui tend les bras, mais le jeune américain a vu que son ainé commençait à fatiguer, et à rater. Ses prises de risques ne payent plus. Extrêmement intelligent en défense, il sauve pas moins de 10 balles de break dans la quatrième manche, qu’il finit par remporter 6-4. Mais le Suédois ne lâche rien et break d’entrée dans la cinquième manche après un jeu long de 17 minutes. Si le gain de ce genre de jeu à rallonge, fait en général oublier la fatigue, à ce moment-là, Chang prend définitivement le dessus physiquement sur son adversaire. Malin, il fait durer les jeux suivants et remporte la finale 6-1, 3-6, 4-6, 6-4, 6-2, face à un Stefan Edberg complètement rincé. Il emporte ainsi à 17 ans et 3 mois son premier et unique tournoi du Grand Chelem et marque ainsi l’histoire du tennis de son empreinte en devenant, il y a 31 ans, le plus jeune vainqueur dans un Majeur.
La situation à Pékin "rendait la situation d’autant plus unique"
Le joueur américain d’origine chinoise se confiera en 2012 au magazine GQ, au sujet de sa plus grande victoire : "Je ne peux pas affirmer que quelque chose de grand allait arriver. Mais plusieurs choses pouvaient, rétrospectivement, le laisser penser. Je jouais très bien, je m’entrainais très bien, j’avais une grande confiance en moi. Et, parallèlement, c’était une période très délicate et émouvante pour le peuple chinois avec les événements de Tian’anmen. Quand je ne jouais pas, je regardais la télévision pour savoir ce qui se passait à Pékin. Cela rendait la situation d’autant plus unique. C’est sûrement pour toutes ces raisons que Dieu m’a laissé gagner ici. Pour mettre un sourire sur les visages des Chinois en cette période délicate. Je n’étais pas programmé pour gagner, je ne devais pas battre Lendl en 1/8 de finale, pas battre Edberg en finale. Ces deux matchs, j’aurais dû les perdre. J’ai été tellement proche de les perdre ! Mais pour une raison ou une autre, une personne m’a fait gagner. Et c’est très bien ainsi ! (rires)" D'ailleurs comme nous le disions en introduction, plus jamais il ne tenta de service à la cuillère, ni ne remporta un deuxième Grand Chelem, même s'il atteignit trois autres finales en 95 et 96, à Roland-Garros, l'Open d'Australie et l'US Open.