Tennis. Roland-Garros - Cédric Nouvel : "Y a un trou générationnel"
Par Clémence LACOUR le 11/06/2017 à 12:31
Cédric Nouvel, directeur de la HDN Academy, est un observateur des plus avertis du tennis français. Il fut le coach de Virginie Razzano, qu'il a emmenée jusqu'au plus haut mondial. Dans son académie, il s'attache à permettre aux jeunes de réaliser leur pojet sportif et professionnel. A Roland-Garros, il est allé voir l'une de ses anciennes protégées, la Chinoise Xin Yu Wang, 17e joueuse mondiale chez les juniors. L'occasion pour lui de tirer le bilan du tournoi chez les Français et de chercher de solutions pour qu'à l'avenir, la France puisse rêver d'un nouveau titre à Paris.
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Quel bilan tirez-vous de ce Roland-Garros 2017 côté Français ?
Ce bilan n'est pas très reluisant, surtout chez les hommes. De plus, on ne peut que constater qu'il y a un énorme trou générationnel. Chez les dames, Caroline Garcia, Alizé Cornet et Kristina Mladenovic, sauvent la mise. Le trou générationnel se fait de plus moins sentir car Mladenovic et Garcia sont encore très jeunes (23 et 24 ans). Derrière ces deux-là, il y a encore un peu de monde : Océane Dodin (56e, 20 ans), puis Chloé Paquet, qui a un bon niveau intermédiaire (209e lundi, avec un bond de 51 places après un très bon tournoi sur la terre parisienne ndlr). C'est au niveau du classement que c'est compliqué, car il n'y a pas de filles vraiment très très fortes et aux avant-postes du classement WTA... On constate un énorme trou entre les 5 premières et les autres. Avant Roland-Garros, Virginie Razzano (alors 137e, ndlr) était 6e française et la suivante était à environ 80 places. Après ce Roland-Garros, rien n'a changé. 121 places séparent Pauline Parmentier (81e) et Amandine Hesse (202e après ce Roland-Garros, ndlr). Chez les garçons, il y a un vrai trou de génération. Les trentenaires restent mais faiblissent, puis Lucas Pouille (17e, 23 ans), tout seul, en intermédiaire. Il incarne le travail et les valeurs, et il peut être un modèle pour beaucoup de jeunes, leur donner envie de jouer. Mais un tel trou générationnel, c'est préoccupant. Ce n'est pas normal.
D'autant que chez les Juniors, ce Roland-Garros n'a pas été très prolifique non plus...
Oui, non seulement derrière Lucas Pouille, il n'y a pas grand monde, mais, cette année, chez les Juniors ça ne bouge pas beaucoup non plus. Peu de jeunes filles sont très fortes. On trouve deux filles au deuxième tour (Giulia Morlet et Yasmine Mansouri), deux garçons au 2e tour (Constantin Bittoun-Kouzmine et Corentin Moutet), un au troisième tour (Mattéo Martineau) et Clément Tabur au 4e tour. Le bilan n'est pas exceptionnel. Bien sûr, au sein de la FFT, Bernard Giudicelli a un discours très volontariste. Cependant, on ne fabrique pas des champions d'un claquement de doigts. La grinta, ça ne vient pas comme ça. En plus, il y a assez peu de joueurs (une quinzaine en tout, dont 13 wild cards). Et on n'en voit aucun dont on se dise : "celui-là, il sera vraiment très fort ".
A votre avis, d'où vient ce problème ? Comment pensez-vous que l'on puisse y remédier ?
J'ai le sentiment qu'on a fonctionnarisé le haut niveau : hors du Pôle France, point de salut. Il n'y a pas d'autre solution. Tout le monde a à peu de choses près le même parcours, alors que le haut niveau, c'est d'abord des parcours individuels. Chaque joueur a sa spécificité.Il faut considérer la place de famille, de l'éducation. Il faut à chaque fois se poser la question de ce qui est le mieux pour chaque joueur : est-il nécessaire de les déraciner ? Jusqu'où le club d'origine peut les emmener ? C'est cela qu'il faut révolutionner. D'autre part, on a aussi fonctionnarisé les entraîneurs de la FFT. Certains sont très bons, d'autres un peu moins. Mais ils restent en place quoiqu'il arrive. Il n'y a pas cette notions de mérite chez les entraîneurs. Il faudrait aller là où ça marche, être plus ouvert et plus innovant. L'autre chose c'est que pour ces jeunes-là, tout est trop facile. Loin de moi l'idée de faire du "French Bashing", mais on a l'impression qu'ils n'ont que des droits et pas de devoirs. Ils sont très assistés. Ca débouche parfois sur des problèmes d'éducation et de manque de repères, comme on l'a vu avec Maxime Hamou, et c'est un réel problème pour fournir la somme de travail nécessaire pour parvenir au plus haut niveau. On ne peut pas former un mental de champion dans ces conditions. C'est impossible, même si le jeune est bourré de talent. La notion de mérite n'est pas assez présente. Ils doivent avoir plus de devoirs. L'autre chose, c'est qu'on a laissé les familles de côté. Elles doivent s'investir davantage, les obliger à participer, car leur rôle est primordial. On peut prendre l'exemple de Xin Yu Wang (battue en 3 sets au 3e tour de Roland-Garros Juniors, ndlr) pour illustrer tout ça. Elle a un parcours spécifique, avec un programme défini sur mesure, un préparateur physique. Bien sûr, elle a une chance exceptionnelle, puisque son père est coach et capitaine de l'équipe de Chine de Fed Cup. Mais ça, on peut le faire aussi en France au niveau fédéral.